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KORSAKOFF.des maladies de la mémoire

Cette défaillance de mémoire concerne principalement les événements, c’est-à-dire les changements dans le temps ; quant aux perceptions de l’espace et aux sensations visuelles, elles se rappellent généralement mieux. Le malade s’en va tout seul dans la rue et reconnaît aussitôt la maison où il a été une fois ; il peut, de mémoire, dessiner la maison qu’il habite, la maison de campagne où il a passé l’été ; il reconnaît toutes ses nouvelles connaissances. Mais il ne peut se souvenir d’une conversation qu’il a eue avec ces connaissances, il ne peut même se rappeler s’il s’est entretenu avec eux.

Parfois le malade se rappelle des incidents antérieurs à la période de l’état grave de sa maladie : pour la plupart du temps une impression accidentelle évoque toute une série d’associations qui se rapportent à la vie passée, et souvent ce sont des souvenirs des offenses qu’il a souffertes. Le malade ressent ces offenses, mais, comme il l’assure, faiblement, sans énergie. Ensuite ses souvenirs paisibles disparaissent. En général, le malade assure qu’il a bien de la peine à reconstituer la continuité des images dans sa conscience ; les images paraissent accidentelles et fragmentaires, mais, néanmoins (et c’est remarquable), le malade ne se contredit pas et, à première vue, il paraît parler d’après un plan arrêté, tandis que lui-même n’est occupé qu’à faire en sorte que ses idées découlent l’une de l’autre, et si on lui demande par quoi a commencé la conversation, il serait absolument dans l’impossibilité de le dire. À cause de toutes ces circonstances la lecture lui est impossible ; après avoir lu deux, trois pages, il est obligé de retourner au commencement pour se rappeler de quoi il est question.

Ayant conscience de son état, le malade tâche de l’analyser et cette analyse porte les traces du trouble de sa mémoire. Il revient toujours aux mêmes choses et répète plusieurs fois ce qu’il a dit. Cette tendance à répéter se remarque aussi dans ses paroles.

Il a conscience lui-même qu’il lui manque de la vivacité, de l’énergie. Eu se rappelant ce qu’il était autrefois il reconnaît une profonde différence. Autrefois c’était un homme ardent, énergique, que les injustices révoltaient puissamment, tandis que maintenant il ne se révolte presque plus ; il a une espèce de sang-froid, qui ne vient pas de la conscience de sa force, d’un point de vue élevé, mais qui est la suite de la faiblesse de l’énergie.

Pendant le cours ultérieur de la maladie, la mémoire du malade s’améliorait de plus en plus, il était plus content de son état et il devenait toujours plus apte à un travail intellectuel. Du reste, dans ce cas, l’amélioration était lente. Il arrive que l’amélioration de la mémoire dans des cas analogues est beaucoup plus rapide. Parfois