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KORSAKOFF.des maladies de la mémoire

ils ne peuvent le faire que pour peu de temps comparativement ; cette tension les lasse bientôt et ils retombent dans leur état naturel.

Désirant, autant que possible, déterminer avec précision ce qui disparaît de la mémoire de ces malades, nous avons pu, comme nous l’avons déjà dit, observer que le malade oublie les choses récentes. Il garde le souvenir de ce qui s’est passé antérieurement à la maladie, mais il perd la conscience des perceptions qu’il a éprouvées depuis le commencement de l’affection ou peu de temps avant. Chez la plupart, le souvenir s’arrête aux choses arrivées un mois ou quinze jours avant le début de la maladie. Un malade, par exemple, ne pouvait se rappeler que la nouvelle qu’il avait commencé à écrire était déjà imprimée en partie, bien qu’il l’ait vue imprimée trois semaines avant de tomber malade ; un autre ne pouvait se souvenir du motif de la colère qui produisit sa maladie, bien qu’il se rappelât parfaitement tout ce qui avait eu lieu quinze jours auparavant. C’est ce qui arrive dans la plupart des cas.

Nous voyons donc que dans les cas typiques la mémoire perd le souvenir des perceptions reçues pendant la maladie ou quinze jours, trois semaines avant son commencement. Dans la plupart des cas, à une certaine période de la maladie, cette défaillance de mémoire s’étend à toutes les perceptions, soit des organes des sens, soit des procès intérieurs de l’intelligence. Mais en analysant en détail certains cas, on peut en tirer des conclusions intéressantes.

Ce qui nous frappe d’abord, c’est que, bien que le malade n’ait aucune conscience de ce qu’il garde des traces des impressions qu’il reçoit, ces traces cependant subsistent probablement et influent d’une manière ou d’une autre sur la marche des idées au moins dans l’activité intellectuelle inconsciente. Ce n’est que par là qu’on peut expliquer la sagacité de certains d’entre eux. Deux malades qui ne m’avaient pas connu avant leur affection devinaient toujours que j’étais médecin, bien qu’ils assurassent catégoriquement qu’ils me voyaient chaque fois pour la première fois. Voici un autre cas : j’électrisais un malade avec le courant galvanique de l’appareil de Spamer. Lorsque je lui demandai ce que j’allais lui faire et ce que je faisais chez lui chaque fois que je venais, il resta interdit et me répondit qu’il n’en savait rien. Je le priai de jeter un coup d’œil sur la table où se trouvait la boîte de la machine. Alors il me dit que je venais probablement l’électriser, et cependant je sais bien qu’il n’apprit à connaître cette machine que pendant sa maladie. Par conséquent, s’il n’avait pas gardé une trace de souvenir que cette boîte contenait une machine électrique, il n’aurait pu deviner si vite. Ensuite il arrive qu’on entre chez un malade pour la première fois, il tend la