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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

folie qu’ils n’ont pas, et si gauchement que la ruse est toujours transparente, à la différence des criminels. Si les uns comme les autres, enfin, ont un penchant à la récidive, n’est-ce pas en vertu des lois de l’habitude auxquelles la folie n’a pas pour effet de nous soustraire, mais, au contraire, de nous assujettir plus servilement ?

Par exemple, Lombroso n’a pas tort, je crois, de mettre en relief le fait bien connu, que certaines formes classées et classiques d’aliénation mentale, la monomanie homicide, la cleptomanie, la pyromanie, l’érotomanie, etc., correspondent aux formes différentes et permanentes du crime, au meurtre, au vol, à l’incendie, au viol, etc. Je dis que cette correspondance est instructive, mais à un autre point de vue que celui de Lombroso. Elle ne prouve pas le moins du monde ce qu’elle semble signifier à ses yeux, c’est-à-dire la commune origine du crime et de la folie, ou leur identité fondamentale. Sur ce point je le renvoie à lui-même. Mais, en revanche, le fait que certaines grandes spécialités de folie sont caractérisées par des impulsions à commettre et à répéter tel délit spécial entre mille autres actes possibles, tend peut-être à montrer la probabilité d’un type cérébral propre aux criminels. L’existence de ce type controversé, en effet, suppose avant tout l’importance physiologique et non pas seulement sociale du crime. Or, ne semble-t-il pas que cette importance physiologique soit attestée, en quelque sorte, par la correspondance en question” ? Il v a des catégories de folies caractérisées essentiellement par une impulsion irrésistible à tuer, à voler, à violer, à détruire les biens ; il n’y en a pas qui soit caractérisée essentiellement par une impulsion irrésistible à ramer, à nager, à tisser de la toile, à bêcher, etc. Ce sont là pourtant de bien antiques actions, répétées et multipliées depuis des siècles par d’innombrables générations. Mais il paraît que cette répétition si prolongée n’a pas suffi à fixer le désir de ces actions en instincts physiologiques, ayant un siège distinct dans le cerveau. Il faut donc, puisqu’il semble en être autrement pour le crime, que le crime malgré sa moindre répétition, sinon sa moindre antiquité, ait joué dans l’humanité un rôle supérieur en force, en profondeur d’impression, à ces actes de la vie commune. Justement parce qu’il a toujours été l’exception, il a été le monstre, la sensation vive qui frappe de son sceau l’être moral et descend jusqu’à l’être physique. Il partage ce privilège avec ces autres actes qui, quoique très grossiers et très communs, intéressent fortement l’organisme : boire des excitants (dipsomanie), manger gloutonnement (certaines formes d’hystérie), abuser des plaisirs sexuels, etc.

Non seulement il est des folies spécialement adaptées à chaque