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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

précédente explication par l’atavisme. Il s’appuie sur cette considération que les épileptiques ressemblent à nos lointains aïeux par « la religiosité, la férocité, l’instabilité, l’agilité, le cannibalisme et des instincts véritablement bestiaux », tels que le goût de boire du sang, de dévorer des animaux avec leur peau, etc. Observons que ces dépravations du goût se rattachent à d’autres du même genre où se montre clairement leur nature pathologique, nullement atavistique, par exemple à la coprophagie et à la scatophagie.

II. — Pour bien marquer la nature du dissentiment qui, à mon grand regret, me sépare de Lombroso, je citerai un exemple qui lui est cher, celui du fameux Misdéa. Ici notre auteur semble triompher, parce qu’en effet la criminalité native et l’épilepsie sont enchevêtrées au point de désespérer l’analyse. Il n’est pas impossible cependant de les démêler si l’on a égard à certains principes que j’ai souvent indiqués dans cette Revue comme devant servir de fondement à la responsabilité pénale. En deux mots, Misdéa était un mauvais soldat italien, fourbe, haineux, violent, vaniteux, paresseux, insensible, et, avec cela, épileptique, qui, dans un accès final, provoqué par le plus futile froissement d’amour-propre, s’enferma dans une chambre de la caserne, et de là se mit à fusiller ses camarades dont il croyait avoir à se plaindre. Il fallut un siège en règle pour le désarmer. Or, en lui, nous dit-on, « l’insensibilité, la paresse, la vanité, la violence, la haine poussée jusqu’au cannibalisme, tous ces caractères que nous retrouvons dans le criminel-né et le fou moral, sont exagérés par l’épilepsie. » Exagérés, soit, mais non créés. N’y avait-il pas, chez Misdéa, indépendamment de l’épilepsie, l’étoffe d’un criminel ? Et si, par hypothèse, cette étoffe lui eût manqué, c’est-à-dire s’il n’eût été ni paresseux, ni orgueilleux, ni vindicatif, ni cruel, ni menteur, est-ce qu’il eût commis, dans un accès d’épilepsie, les meurtres qui l’ont conduit à l’échafaud ? Le dernier vertige épileptique qui l’a saisi paraît n’avoir fourni à ses virtualités criminelles qu’une occasion de se révéler. Et cette occasion aurait pu leur être procurée aussi bien, sinon mieux, par certaines circonstances de la vie sociale où d’autres malfaiteurs que lui se sont trouvés ; comme, par exemple, si un outrage réellement grave eût été infligé à son orgueil ou si l’excès de la misère l’eût acculé, un beau jour, au choix inévitable entre le travail, repoussé par sa paresse, et l’assassinat, accepté par son insensibilité. Dans ce dernier cas, combien les homicides qu’il eût commis, moins atroces peut-être dans la forme, eussent été plus dignes pourtant du nom de crimes ! Son caractère, en se manifestant de la sorte sous un nouvel aspect, fût resté le même au fond ; tandis que la manifestation par l’épilepsie