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pour avoir sur l’hérédité des aptitudes corporelles ou mentales les idées les plus justes.

Mais est-il vrai que le criminel soit un malade, en dépit de sa longévité ? Rien de moins certain. Je me propose d’examiner aujourd’hui une expression singulièrement précise que Lombroso vient de donner à cette thèse, et dont le développement remplit tout le second volume de son Uomo delinquente, récemment publié[1]. Le plaisir qu’on prend à lire cet auteur, malgré son désordre et la nature odieuse de ses sujets, ressemble assez au plaisir de voir travailler un peintre, surtout quand il brosse fiévreusement et ne s’assujettit pas à un plan préfixe, mais modifie, remanie, transforme son dessin au gré de son inspiration du moment. Ce portrait en pied du criminel, qui est sur son chevalet depuis des années, est toujours fini et toujours à recommencer ; avant-hier, c’était la silhouette d’un néo-sauvage ; hier, d’un aliéné ; aujourd’hui, d’un épileptique. Ou plutôt ces couches d’hypothèses se superposent sans se recouvrir entièrement ; la dernière a la prétention de se fusionner avec les deux précédentes. C’est un palimpseste anthropologique.

Lombroso ne dit pas que tout épileptique soit un criminel[2], mais il croit prouver que tout vrai criminel est un épileptique plus ou moins déguisé. L’épilepsie serait le genre dont la criminalité serait la variété la plus répandue. Il passe en revue toutes les espèces de criminels, le criminel-né ou par folie morale, le criminel par passion, le criminel par folie, par hystérie, par alcoolisme, voire le criminel d’occasion et le criminaloïde, et, au fond d’eux tous, il découvre des traces de tempérament épileptique ou épileptoïde. À première vue, une généralisation aussi abusive, en dépit des restrictions que l’auteur y apporte çà et là, mais qu’il oublie un instant après, ne paraît pas mériter l’examen. Elle se heurte d’emblée à l’insolence des chiffres. Le docteur Marro, de Turin, est un élève de notre auteur, son compatriote, et, à l’époque où il composait son excellent : livre sur I caratteri dei delinquenti, il ne pouvait ignorer l’importance que son maître attribuait dès lors à l’épilepsie. Son attention avait donc été dressée à ne point laisser échapper les moindres signes de cette affection en étudiant ses sujets. Cependant, sur les 507 délinquants hommes observés par lui, il n’a trouvé que

  1. Deuxième volume de l’Uomo delinquente, de Cesar Lombroso. (Fratelli Bocca, Turin, 1889.)
  2. D’après les recherches de Tonini, cité par L., la proportion numérique des menteurs, des voleurs, des pervers de toute catégorie, parmi les épileptiques, ne s’élèverait qu’à 4 ou 5 p. 100. (Elle serait, il est vrai, égale à 63 p. 100 d’après Cividali.)