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analyses. — p. souriau. L’esthétique du mouvement.

plutôt détendue ; la courbe décrite par les guirlandes d’un lustre est tout à fait gracieuse, parce qu’elle correspond à leur retombée naturelle. Quelquefois le caractère esthétique d’une ligne sera déterminé tout simplement par l’attrait qu’ont pour nous les objets dont elle nous rappelle la forme. Les formes anguleuses se trouvant plutôt dans les minéraux, et les formes arrondies dans les êtres organisés, nous trouverons dans les courbes je ne sais quoi de plus vivant que dans les droites. Voici un dessinateur qui trace une ligne sur le papier : c’est une courbe assez compliquée, dont il vous est impossible de trouver la loi ; tant que les choses en restent là, l’effet esthétique est nul, un simple carré tracé à la règle ferait aussi bien votre affaire. Mais peu à peu, vous comprenez : ce que cette ligne représente, c’est la silhouette d’un corps de femme. Maintenant vous ne la regardez plus du même œil ; et les images qu’elle fait passer dans votre esprit lui donnent tout d’un coup une grâce qu’elle n’avait pas en elle-même. »

Malgré la finesse des observations, une telle étude, M. S. en est convenu d’avance, reste contestable, un peu flottante. Elle le ramène au principe essentiel qu’il avait posé d’abord, et qu’il voudrait voir s’imposer dans toutes les discussions d’art et de goût : « à savoir, que la beauté véritable est dans l’intelligente adaptation des choses à leur fin. » Principe juste, puisque le plaisir esthétique a pour conditions secondes, que l’œuvre ne contredise ni à notre logique intellectuelle ni à notre logique morale, qu’elle ne heurte ni la raison ni le cœur[1]. Principe trop général cependant, et d’une interprétation trop élastique, pour nous dicter des jugements sûrs dans un grand nombre de cas.

Parlant, dans son dernier chapitre, de l’étude à faire du beau musical, M. S. termine par cette déclaration : « Si l’on entreprenait de nouvelles recherches sur ce difficile problème, il serait bon de procéder comme nous avons cru devoir le faire dans cet ouvrage : c’est-à-dire de chercher les raisons de l’esthétique musicale dans le déterminisme du mouvement sonore plutôt encore que dans sa perception. Du moins serait-ce de ce côté qu’il y aurait le plus de découvertes à faire. » Peut-on faire jamais autre chose que d’étudier les conditions physiques et physiologiques de la sensation auditive, de la sensation visuelle ? M. S. ne se tromperait-il pas à tenir un si faible compte de l’état perceptif et du plaisir lié à l’activité de l’organe, où les différents arts trouvent en définitive leur qualité propre, leur expression, leur raison d’être ? Son livre engagerait bien des questions à côté, je n’y toucherai pas. On jugera peut-être que j’en ai parlé bien longuement, sans prendre le temps de le louer. Mais ce dernier soin conviendra bien mieux à ses lecteurs.

Lucien Arréat.

  1. C’est en ce sens que l’on pourrait dire, avec M. Tarde, que l’éthique et l’esthétique se ramènent, au fond, à la logique. (Criminalité comparée.)