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Giovanni Mocenigo, qui déclara crûment « s’être toujours promis de déférer Bruno à la censure dudit Saint-Office[1] ».

Il ne saurait être utile, et il est répugnant de suivre en détail le martyre du philosophe aux prises avec les bourreaux. Arrivé à Venise en octobre 1591, Bruno fut saisi le 23 mai suivant dans la casa Mocenigo, via S. Samuel, par un capitaine et des sbires délégués de l’inquisiteur. Mis au secret dans la maison même, il en fut tiré à la nuit par un autre ruffian, qui l’embarqua sur la lagune et le mena dans les prisons du Saint-Office. Il était pris. Son martyre allait durer huit ans. On ne lui accorda le supplice que le 17 février 1600, lan du grand Jubilé, bien choisi pour pareille fête.

Le cœur se lève à parcourir les documents qui sont restés de cette période. Sans imiter les déclarations d’Italiens qui sont toujours suspects d’un zèle aussi excessif que celui de leurs adversaires, on ne saurait sans révolte songer quel était alors ce pouvoir pour oser faire agenouiller Galilée, et torturer Bruno. Il y a dans les réponses de la victime aux inquisiteurs la constante affirmation de sa foi philosophique, l’invocation de ces « principes naturels » qui furent le fond de son Credo intellectuel. « Je n’ai qu’un ennemi, dit-il, c’est ce sieur Giovanni Mocenigo et sa séquelle, c’est eux qui m’ont gravement offensé et assassiné dans l’honneur, la vie et la robe ! » Il oubliait les fanatiques et les cuistres, les moines et les humanistes, San Severino et Bellarmin, qu’il allait retrouver à Rome.

Il sentait bien que sa dernière chance de salut était de n’être point déféré au tribunal de Rome. Un autre patricien, Morosini, déposait favorablement pour l’accusé. Lui-même Giordano consentait à promettre qu’il « reconnaîtrait ses erreurs et qu’il réformerait notablement sa vie ».

Mais le nonce et l’Inquisition s’acharnaient à l’arracher à Venise[2]. On invoquait sa qualité de sujet napolitain, qui le faisait échapper à la juridiction vénitienne. Le 7 janvier 1593, le procureur Contarini émettait l’avis qu’il « croyait convenable de satisfaire à Sa Sainteté[3] ». Il priait d’ailleurs qu’on tint ceci « fort secret, tant pour le respect public que pour son respect privé ». Enfin le 9 du même mois de janvier, les Pregadi communiquèrent à l’ambassadeur Paul Paruta la délibération prise « par filial amour pour Sa Sainteté ». Et le 26 l’ambassadeur écrivait au doge l’expression de l’extrême contentement du souverain Pontife.

Bruno quitta Venise pour Ancône, où on le jeta en prison pour le

  1. Documents, II, p. 329.
  2. Documents, XXIII, 390.
  3. Documents, XXIV.