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Mayence, par Marbourg où le registre des étudiants vit s’inscrire au mois de juin « Jordanus Nolanus Neapolitanus theologiæ doctor Romanensis », et dont le paisible recteur Nigidius, professeur de philosophie morale, fut troublé dans sa sérénité par la furie inusitée de l’Italien. « Il s’enflamma à tel point, note sur son registre cet honorable fonctionnaire, adeo excandescit, qu’il m’insulta acerbement dans ma propre demeure. » Pour qui sait ce qu’est à un Allemand « sa propre demeure », et à un recteur le souci de sa majesté, l’étonnement sera petit en voyant Bruno, après cet éclat indiscret, passer de Marburg à Wittemberg.

Libéralement accueilli, malgré son hérésie déclarée, dans l’Université fameuse, il déclara seulement qu’il était « nourrisson des Muses, philosophe et philanthrope de profession ».

C’était alors, cette cité de Wittemberg, l’école fameuse où Shakspeare envoyait Hamlet, la cité novatrice où Luther avait affiché ses thèses sur la porte d’une église et brûlé la bulle du Pape. Luther y reposait, à côté de Mélanchthon, dans la sépulture élevée par l’électeur Frédéric.

Les luthériens — ceux-ci théologiens — et les philosophes — ces derniers calvinistes — se partageaient la ville. Bruno y gagna quelque argent par son enseignement privé.

Sectateur inspiré de Copernic, il enseignait la cosmographie, il entraînait son auditoire par la véhémente éloquence d’une exposition enthousiaste. Fixé durant deux années dans l’hospitalière cité, il s’occupa de publier le De Lampade combinatoria lulliana et commenta l’Organon d’Aristote.

Un changement de souverain mit sur le trône ducal un prince dévoué aux idées catholiques, et le 8 mars 1588, dans un discours ému, Bruno faisait ses adieux au corps universitaire de Wittemberg.

L’éloge de l’Allemagne, des savants allemands, et en particulier de ce Paracelse dont la science exubérante et la vie agitée devaient plaire singulièrement à Bruno, emplissait ce discours, où semble commencer l’illusion, désormais et récemment perdue, qui mit longtemps la race germanique à la tête du progrès philosophique.

Sur Prague, où Bruno vint ensuite, régnait un souverain bien fait pour comprendre le philosophe de Nola, pour l’aimer dans ses qualités et peut-être mieux encore dans ses défauts. Vrai prince du xvie siècle, Rodolphe II avait uni à ses idées catholiques, dont l’avaient imbu ses maîtres les jésuites, une passion pour la science, et surtout pour l’astronomie ou l’astrologie, médiocrement distinctes alors. — Fabrizio Mordenti, le collaborateur de Bruno, s’intitulait son astronome. La cour du reste fourmillait de gens habiles à consulter