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rience raisonnée. Combien de maçons pour un architecte ! Toujours et partout un troupeau, une élite, et le plus souvent le triomphe provisoire du nombre, le règne du servum pecus.

Comme la connaissance, la science est objective et subjective. Quoi qu’en dise l’auteur, qui en appelle à l’expérience personnelle de chacun, l’expérimentation individuelle ne saurait démontrer à tous le bien fondé de cette division. En effet, la plénitude de la connaissance n’est à portée que des esprits à la fois objectifs et subjectifs, par conséquent, du petit nombre. Il n’est donc pas exact que chacun puisse connaître toute la vérité par sa propre expérience, puisque celle-ci dépend essentiellement de l’esprit d’observation, lequel varie selon les individus. Descartes a partagé cette illusion, pour avoir cru avec Aristote à une intelligence universelle, à une raison générale, que les modernes ont sottement nommée impersonnelle.

Non, tout le monde n’est pas également apte à saisir la vérité, ni même les vérités fondamentales. Huarte a ingénieusement effleuré cette question complexe, en étudiant les aptitudes diverses de l’esprit. On peut croire avec lui, que la noblesse de l’intelligence existe réellement, et qu’elle fait contrepoids aux intelligences moutonnières. Qu’elle soit héréditaire et transmissible, comme la pairie, c’est une autre question.

Quoique Gomez Pereira soit fortement épris de la généralité, en vrai métaphysicien, il contrebalance cette tendance en empruntant ses démonstrations et même ses preuves à la physique. Rien de plus ingénieux que son analyse optique de la vision, des nuances de l’arc-en-ciel et des plumes de la gorge des pigeons, appliquée à la sensation telle qu’il la conçoit. L’âme se modifie sous les impressions qu’elle éprouve ; elle s’y accommode ; mais en prenant connaissance de l’objet, elle ne la prend pas d’elle-même : Ipsa enim se ipsam immutat, notionem non sui, ut lux iridis reflexa, sed objecti quod afficit inducens. Et ce qui est vrai de la sensation réelle, l’est également des illusions des sens, verum in quadam deceptione sensum idem accidere, certi sumus. Il en est de même des hallucinations : elles ne seraient point, si l’âme pouvait se reconnaître, se reprendre, en se repliant sur elle-même, ce qui n’a lieu que dans les fausses hallucinations, où la conscience n’est pas dupe ; d’où la remarque de Celse : Quidam imaginibus, non mente falluntur. Autre preuve de la non-simultanéité de l’action extérieure et de la réaction intérieure, soit consciente, soit volontaire. Si elle existait de fait, on pourrait acquiescer à l’opinion de Leuret et autres qui prétendaient combattre et vaincre la folie par l’attention. Quelle