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guardia. — philosophes espagnols

dernier était un bel esprit littéraire qui n’a pas su mettre un seul grain de philosophie dans ses deux agréables déclamations sur l’intelligence des bêtes, publiées pour la première fois par les soins du docte Gabriel Naudé. Ne connaissant Gomez Pereira que par ricochet, Bayle a cru qu’il avait soutenu un paradoxe par pur caprice, tandis que Descartes s’était obligé à le soutenir pour étayer sa métaphysique. Les Cartésiens ont prétendu que leur chef ne connaissait point la doctrine du médecin espagnol. Adrien Baillet, qui veut prouver à toute force qu’il ne la connaissait pas en effet, d’après une confidence faite au P. Mersenne, avoue cependant que Descartes, dès sa première jeunesse, avait sur les animaux l’opinion de Gomez Pereira ; ce qui contredit l’induction de Bayle, et prouve que Descartes commença de philosopher précisément comme son précurseur, en niant l’âme des bêtes. Coïncidence fortuite peut-être, mais à coup sûr singulière. Après avoir embrouillé la question, les Cartésiens ne se soucient point de la débrouiller, craignant sans doute de trouver exacte l’accusation de plagiat. Rien de plus louche que ce qu’on lit à ce sujet dans le Dictionnaire des sciences philosophiques (2e éd., Paris, 1885), à l’article Âme, in-4o, p. 43, col.  9, qui se termine ainsi : « La psychologie actuelle, exclusivement préoccupée de l’homme, dont la connaissance est pour elle le point de départ de toute philosophie, n’a pas encore eu le temps d’arriver à cette question. » Voilà une perle de la plus belle eau ! Un peu plus avancé que ces tardigrades, c’est par l’examen de cette question que débute le médecin-philosophe du xvie siècle. Il part de l’animal, et ne va pas au delà de l’homme. Il commence par s’inscrire en faux contre le préjugé courant de la sensibilité des bêtes, qui attribue aux animaux les mêmes sensations qu’à l’homme. C’est à peine, dit-il, si quelques-uns leur refusent la réflexion. L’exposition des opinions reçues est suffisante dans sa brièveté. Les autorités touchent peu ce sceptique. Pour lui, la liberté de penser est la mère des sciences et du progrès. Si les bêtes sentaient comme nous, il n’y aurait point de différence entre la bête et l’homme. La différence vient de la raison, qui est la force d’esprit capable de distinguer et de lier. La raison est propre à l’homme et fait sa supériorité.

Certains théologiens accordent le raisonnement aux bêtes, et prétendent que l’homme ne se distingue que par la connaissance des universaux. Réfutation de ce paradoxe : Si les bêtes sentaient, raisonnaient, comprenaient l’universel, comme nous, elles nous ressembleraient parfaitement. Si le chien et le cheval sentaient comme l’homme, ils éprouveraient mentalement ce que l’homme éprouve ; par exemple, en voyant leur maître, ils feraient cette réflexion, que