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et trop rigoureusement peut-être au pied de la lettre, le principe didactique de l’adaptation. Il ne croit pas qu’on puisse enseigner simultanément à l’enfant toutes les matières de l’école secondaire ; on devra choisir et présenter d’abord les plus concrètes, les plus accessibles aux esprits peu familiers avec le raisonnement et l’abstraction. Je passe : j’aurais trop à dire sur ce point, et je l’ai dit ailleurs avec détail[1]. Je glisse pareillement sur les abus, connus de tous, qui découlent nécessairement de la culture littéraire exclusive. Je me contente de signaler les dispositions les plus neuves du projet, et, notamment, l’introduction de la sociologie et des notions de droit, d’économie politique et de science sociale, comme corollaires ou auxiliaires de l’éthique, et la suppression de la philosophie, reportée, avec la philologie, à l’enseignement des Universités.

Tout cela me paraît tout à fait raisonnable. En est-il de même pour l’enseignement du latin ? Qu’on en juge d’après les raisons que M. Cesca met en avant pour le laisser dans le programme. Ce ne sont pas des raisons d’esthétique, assurément, car, à ce point de vue, l’étude du grec serait plus justifiable. Mais en faveur du latin milite un argument capital. Si l’on étudie les langues étrangères pour comprendre la pensée d’autrui, aucune ne peut être plus utile que le latin : elle a le grand avantage d’avoir été presque jusqu’à nos jours une langue littérairement et scientifiquement vivante. La connaissance en est indispensable pour l’étude du mouvement intellectuel au moyen âge et aux temps modernes. Le progrès même de l’esprit de nationalité, pense M. Cesca, poussant tous les peuples à écrire dans leur propre langue, devra nécessairement provoquer une réaction, et faire revivre le latin, comme langue des doctes. Quoi qu’il arrive, et que le latin doive ou non reprendre la suprématie qui lui est disputée par le wollapück ou toute autre langue internationale, M. Cesca estime que l’étude du latin peut s’étendre à tous dans l’école secondaire, et ni M. Gréard ni M. Bigot n’ont été si loin. Mais il entend qu’elle se fasse à son heure, vers l’âge de quatorze ou quinze ans, sans fatigue, et en dehors de tout appareil philologique.

Pour ce qui est du français, nous aurions bien mauvaise grâce à protester contre son adoption dans les écoles secondaires d’Italie. Les deux nations sœurs ne seront jamais assez rapprochées par la langue, l’esprit et le cœur. Mais nous ne faisons ici que de la pédagogie. Or, si M. Cesca réclame l’étude du français pour ses compatriotes, c’est que cette langue sera pour eux la plus facile à apprendre, et la plus avantageuse à connaître. Elle a beaucoup d’analogie avec l’italien, et possède une riche littérature, non seulement originale, mais traduite.

C’est aux plus intéressés à décider.

Bernard Perez.

  1. Etude sur Jacolot, p. 65 et suiv.