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analyses. — ferneuil. Les principes de 1789.

l’utilité de la nomination des juges, tous inamovibles, par le pouvoir exécutif. Il expose des idées non moins saines sur l’enseignement public, chapitre fort développé et très bien étudié dans son livre. Il est enfin grand partisan du régime des concordats, du moins dans notre Europe moderne, et voit autant de dangers pour l’État que pour l’Église, dans la séparation de l’Église et de l’État.

On n’attend pas que, dans le cadre étroitement limité de ce compte rendu, je discute une à une les idées de M. Ferneuil. Tout d’abord, on peut se demander si la science sociale qu’il charge de diriger l’art du politique est assez müre pour ce rôle de pilote. Mais on peut répondre que l’astronomie, bien avant Newton, c’est-à-dire quand elle était beaucoup plus jeune que ne l’est la sociologie après Auguste Comte et Herbert Spencer, guidait déjà la navigation. Il n’en est pas moins étrange de voir soumis au contrôle d’une nouvelle philosophie, d’une théorie de l’Évolution jaillie il y a quelque trente ans et débordante à présent sur le globe entier, les principes de 1 : 89, qui précisément, autre éruption non moins glorieuse à son heure, étaient destinés à remplir ce rôle de contrôle supérieur des constitutions, de pierre de touche et de règle d’or politique aujourd’hui attribué de plus en plus à la sociologie évolutionniste et légèrement socialiste. Il faut en convenir, si le centenaire de la constitution des États-Unis a pu être joyeusement célébré au delà des mers, notre centenaire de 1789 ne pouvait pas plus mal tomber qu’au moment actuel où le désenchantement universel, le scepticisme et le pessimisme, le darwinisme, le socialisme d’État, enfin l’abaissement douloureux, momentané, espérons-le, de la patrie, font l’antithèse la plus complète aux convictions et aux enthousiasmes de nos pères, à leur optimisme naïf et profond, à leur spiritualisme néo-chrétien, à leur individualisme, à leur patriotique et incommensurable orgueil. Aussi n’y a-t-il pas à s’étonner de la sévérité avec laquelle leur apostolat révolutionnaire est jugé presque unanimement, et par M. Taine, et par M. Renan[1], et jusque dans le camp même de la Révolution. Pour n’en citer qu’un exemple, ne lisons-nous pas dans l’Évolution de la propriété, de M. Letourneau (p. 486 et suiv.), que « là caractéristique du grand mouvement de 89 ; son résultat principal, c’est la complète mobilisation de la propriété, son affranchissement absolu », et que « de ce brutal individualisme à outrance, doit résulter fatalement la concentration de la propriété en un petit nombre de mains, d’où la formation d’une masse toujours grossissante de prolétaires ? » C’est discutable ; ce qui n’est pas niable, c’est le redoublement de militarisme qui a suivi la proclamation emphatique de la fraternité des peuples ; et, si l’on peut contester à M. Taine que le service militaire soit le revers forcé et inséparable

  1. La même dureté, fort justifiée du reste à tant d’égards, se montre dans un ouvrage récent, La France du centenaire, par Édouard Goumy (Hachette). La conclusion de l’auteur est cependant favorable au maintien de la forme républicaine.