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analyses. — roberty. L’inconnaissable.

corps rouge ou bleu, ou noir, selon le cas individuel. Vous avez devant vous deux espèces d’images, dont l’une est inséparable de l’affirmation et constitue toute la réalité qu’elle possède, et l’autre est inséparable de la négation et constitue également toute sa réalité. Mais ces deux espèces ne forment évidemment qu’un seul genre, celui de « corps coloré »… l’identité des contraires se ramène donc à cette vérité primordiale de toute psychologie concrète et de toute théorie de la connaissance — l’identité de genre des contraires. »

M. de Roberty applique cette conception de l’identité des contraires à l’idée de Dieu ; pour lui : « Dieu est une négation, ce concept rentre dans la vaste catégorie des négations masquées qui empruntent leurs formes grammaticales aux concepts positifs, et que, pour cette raison et pour une foule d’autres qu’il serait trop long d’énumérer, on s’habitue peu à peu à considérer comme des idées positives… Dieu est la négation cachée du concept positif de l’univers, qui comprend ces deux autres concepts, le monde et l’homme. Mais en vertu de la loi de l’identité des contraires, cette négation appartient fatalement au même genre que les concepts qu’elle nie. Nous ne pouvons, comme chacun sait, nous imaginer Dieu que sous les attributs du monde et de l’homme, il y a une identité de genre parfaite entre les propriétés divines et les propriétés des choses et des êtres réels, les premières n’étant distinguées des secondes que comme espèce ». Et l’auteur étudie les procédés par lesquels se forme l’idée de Dieu, dans l’esprit qui « supplée à l’absence d’espèces naturelles en créant des espèces artificielles et de pure convention. Il lui en faut deux, au moins, pour que la négation « Dieu », tout en conservant les liens généraux qui l’unissent à son contraire l’univers, puisse revêtir un aspect positif, et déterminer ainsi l’illusion d’un concept de même nature que les concepts de monde et d’humanité, mais exprimant une autre réalité concrète. Pour produire ce dédoublement, l’esprit place d’un côté ce qu’il considère comme les bonnes qualités des choses et des êtres qui l’environnent, et personnifie ces perfections abstraites telles qu’elles sont conçues aux différentes époques ; il relègue simultanément dans l’espèce opposée, soit le monde et l’homme tels quels, avec leurs bons et leurs mauvais côtés, d’où les religions plus ou moins optimistes, soit les mauvais côtés seuls des choses et des êtres, d’où les religions pessimistes, les croyances assombries, les sectes désespérées. » Et le monde et l’homme formant ensemble le concept général du connaissable, Dieu qui est la contradiction, la négation du monde et de l’homme, ne peut être que l’inconnaissable, « il s’ensuit encore, et ceci est autrement important, que Dieu et l’inconnaissable sont réductibles à leur opposé positif, au connaissable. La loi de l’identité des contraires s’applique ici directement. L’échelle abstractive n’a plus de degrés supérieurs, l’inconnaissable et le connaissable constituent la même abstraction. Mais au-dessous du genre « connaissable », qui comprend et contient sa négation, « l’inconnaissable », il existe des espèces, des variétés. Deux d’entre elles présen-