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maintenant qu’elle doive entraîner après elle tout un cortège d’idées accessoires indispensables à la conception totale, et c’est ainsi que pénètre dans la pensée l’idée de mode ou d’accident. De là une tendance naturelle et presque invincible à introduire partout, dans le monisme lui-même, cette donnée qu’on croit d’évidence absolue et qui semble indépendante de toute doctrine. Il paraît tout naturel d’affirmer que l’être, qu’il soit un ou multiple, comporte des manières d’être analogues à celles dont l’expérience témoigne, et le système qu’on construit sur cette donnée bénéficie, contre toute logique, d’un emprunt fait à son rival.

En fait, dans un monisme conséquent avec lui-même et rigoureux, être et manière d’être doivent se confondre, et cela pour une raison décisive. La manière d’être d’un être seul dans l’existence, c’est sa nature propre, c’est lui. Vous demandez comment il se manifeste. Je réponds qu’il ne peut se manifester qu’à lui-même et comme il est. La distinction de l’essence et de l’accident que vous importez sans scrupule dans votre doctrine n’y à plus de sens. L’accident est un élément adventice. D’où voulez-vous qu’il vienne, puisque, hors de l’être que vous avez posé, rien n’existe ? Vous avez appris de l’expérience que ce qu’on appelle mode semble, du fond de l’être, monter à sa surface et s’y dessiner comme en relief, mais ce relief n’est possible que parce que le mode exprime un état qui ne se confond pas avec l’essence, un état qui n’en résulte pas nécessairement, et qui, dès lors, paraît trancher sur un fond strictement déterminé et immobile. Or c’est ce qui ne peut arriver que si vous supposez, implicitement au moins, d’autres essences ou natures, auxquelles se rapporte et d’où dépend, à quelque degré, la manière d’être dont il s’agit. Pour vous, l’opposition de fond et de surface, si naturelle dans le polydynamisme, est impossible ; le fond de l’être, quelle que soit la force du préjugé qui vous domine, doit être pour vous le tout de l’être.

Vous pouvez soutenir que l’être supposé seul n’est pas concevable. Soit. Ce que nous affirmons c’est que, s’il est seul, il ne se peut d’aucune façon que rien d’adventice pénètre en lui et crée le dédoublement dont vous parlez.

Mais il ne suffit pas que l’accident se produise, il faut qu’il se répète et varie, pour que le temps qui est la première condition du phénomène apparaisse.

C’est le changement, c’est l’altérité dans le mode qui constitue ce qu’on pourrait appeler la matière du temps ; l’éternité de l’être en est la forme.

Or, pas de changement dans un être dont l’essence est donnée