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TARDE.catégories logiques et institutions sociales

nouvelle qui, par association, prête au souvenir rappelé une vigueur singulière. Cette association est, on le voit, une vraie combinaison, puisque le souvenir ancien se soude de la sorte à l’image récente ; et désormais cette association tendra elle-même à se répéter intérieurement, devenue un souvenir complexe, formé de souvenirs relativement simples. S’il en est ainsi, et s’il faut croire tout ce que les associationnistes nous ont appris à cet égard, je suis autorisé à dire que la soi-disant reproduction des images, en réalité leur agrégation, est l’équivalent psychologique de l’invention. Une invention, nous le savons, inaugure une nouvelle sorte d’imitation, comme une idée ou une pratique inaugure un nouveau genre de souvenir ; mais elle n’en est pas moins toujours une rencontre et un complexus d’imitations différentes, précédentes, qui se ravivent singulièrement par l’effet de cet heureux croisement. Nous savons que le résultat d’une invention, industrielle par exemple, est d’ouvrir de nouveaux débouchés à la fabrication de chacun des articles, à l’activité de chacun des genres de travail, dont elle est la combinaison ingénieuse, de même que le résultat de l’association des images est de fortifier chacune des images associées. Nous pourrions ajouter qu’une invention industrielle équivaut à une association industrielle, et nous comprendrions mieux l’exactitude du terme d’association choisi pour exprimer le phénomène psychologique analogue suivant nos vues[1]. N’oublions pas que chacun des souvenirs relativement élémentaires dont une idée nouvelle est la synthèse a commencé par être lui-même une synthèse de souvenirs plus simples encore, et nous aurons lieu d’approuver M. Ribot quand il insiste pour faire remarquer que le caractère essentiel d’un souvenir est d’être une association dynamique d’éléments nerveux.

Les maladies de la mémoire, si bien étudiées par le même psychologue, rappellent fort les maladies de l’imitation, dont nul ne paraît sentir l’importance, quoique, sous d’autres noms, les phénomènes que j’appelle ainsi préoccupent avec raison l’économiste, le politique et l’historien. Il y a des amnésies et des hypermnésies, des suppressions et des surexcitations maladives de mémoire. L’amnésie temporaire, quand elle est totale, comme dans le vertige épileptique, correspond à ces catastrophes militaires ou épidémiques (peste de Florence, famine, tremblement de terre) qui suspendent momentanément, au sein d’une population laborieuse, l’exercice de tous les métiers, de toutes les espèces d’imitation. Les brusques interruptions révolutionnaires dans les traditions des peuples sont de même

  1. Voir à ce sujet, dans la Revue d’économie politique de M. Gide (deux dernières livraisons de 1888), nos articles sur les Deux sens de la valeur.