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TARDE.catégories logiques et institutions sociales

comme sous Soliman. La tendance que montrent ainsi à se rassembler dans leur plus vif éclat les grandes conditions d’accord logique révèle assez, remarquons-le en passant, leur racine commune et leur étroite parenté. Mais ce que je tiens surtout à signaler ici, c’est le raffinement ou le renouvellement de l’urbanité, consécutif d’ordinaire à l’éruption d’une grande renommée qui se consolide et s’asseoit, à peu près comme une nouvelle flore apparaît aux pieds d’une montagne qui se soulève. La Politesse, en effet, est la menue monnaie de l’admiration et de la flatterie ; elle en est la forme naturelle et la vulgarisation comme la gloire en est la source et la forme unilatérale. La gloire a dû précéder la politesse et seule encore elle l’entretient, comme l’esclavage a précédé le travail industriel et l’échange des services, et comme la tutelle d’un pouvoir fort est indispensable à la prospérité de l’industrie.

Mais nous ne pouvons bien comprendre l’importance capitale du phénomène social de la gloire, qu’en le comparant, maintenant, à son véritable équivalent individuel, le phénomène psychologique de la conscience. À l’origine des sociétés, le chef est le moi social. Le chef, en effet, à cette aube de la vie sociale, monopolise toute la gloire à son profit. Mais, plus tard, il n’en est plus de même : la gloire se répand, se distribue entre un certain nombre d’hommes marquants qui sont chefs, chacun dans leur sphère, en tant que glorieux. La conscience est le rayonnement du moi, elle fait qu’un état intime est mien, et la gloire est le rayonnement du maître, elle est ce qui donne un caractère magistral à un homme. Cette comparaison, qui paraîtrait à tort étrange ou superficielle, éclairera singulièrement ses deux termes l’un par l’autre. L’esprit, nous le savons, est une société de petites âmes commensales du même système nerveux, et toutes aspirantes à l’hégémonie, un concours d’innombrables petits états nerveux différents qui, probablement nés chacun à part dans quelque élément distinct du cerveau, cherchent tous à se propager extrêmement vite d’élément à élément, à s’entre-étouffer, à s’entre-conquérir, ou plutôt à s’entre-persuader. Au milieu de cette tourbe, éclôt sans cesse de cette lutte un groupe plus ou moins étroit d’impressions plus ou moins triomphantes, c’est-à-dire conscientes, et, dans ce groupe, se dégage toujours avec une netteté variable l’une d’elles, tour à tour visuelle, auditive, tactile, musculaire, imaginative, point saillant du moi en perpétuelle agitation. Cette impression, et, à divers degrés, toutes les autres de cette élite, font participer sans doute à leur rang privilégié, aussi longtemps que dure leur succès cérébral, leurs cellules natales ; et, puisque la conscience claire et lucide est un plaisir, une harmonie sentie en nous, il est