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grand artiste. Il est artiste parce qu’il est un interprète, non un simple copiste ou imitateur d’un autre artiste, le poète ou l’auteur de l’œuvre dramatique.

Il l’est parce qu’il lui est donné, dans ce cercle et ce domaine, à lui aussi de créer.

Lui-même crée ses rôles et par là devient aussi poète. C’est un poète qui s’ajoute à un autre poète, le traduit, l’interprète, et, dans cette interprétation inspirée et méditée, peut déployer toutes les qualités supérieures du talent et du génie.

Et toutefois les rangs entre les arts doivent encore ici être gardés et maintenus. Il n’est pas donné au plus grand artiste comme acteur (fût-ce Talma ou Lecain), à la plus grande tragédienne (Mlle Mars), de prétendre s’égaler au vrai poète, à Shakespeare, Corneille ou Molière, de même que le plus habile chanteur ne sera jamais sur la même ligne que le grand compositeur. La création véritable appartient toujours au poète, non à l’interprète le mieux inspiré de ses œuvres ; au vrai musicien, non au virtuose qui exécute les grandes compositions de Mozart ou de Beethoven.

Il y a toujours, d’ailleurs, l’irrémédiable défaut attaché à l’œuvre mimique ou à l’action théâtrale, l’impossibilité d’être fixée et durable, d’être identifiée avec la personne de l’artiste et de disparaître avec lui. Le grand acteur ne laisse après lui que son nom.

Nous ne dirons rien ici de l’action oratoire. Outre que le sujet est traité dans toutes les rhétoriques, nous ne saurions en parler ici, sans sortir du cercle où nous devons nous renfermer.

VII

Quel avenir est réservé à la mimique ? Sans se mêler de prédire, on peut l’induire, dans sa généralité, de ce qui précède.

Comme art indépendant, la mimique n’a rien à prétendre, si les raisons qui ont été dites sont bonnes ; son vice originel l’y condamne.

Comme art d’accompagnement ou secondaire et auxiliaire, il n’en est plus de même. Rien ne s’oppose à ce qu’elle reçoive des perfectionnements nouveaux. C’est aux grands artistes eux-mêmes, aux compositeurs ou auteurs dramatiques et lyriques, à les chercher et à les lui donner. (Voy. R. Wagner.) Mais on ne voit pas en quoi et pourquoi elle devrait déchoir et perdre de son importance à moins qu’il n’en soit ce qui a toujours été, ayant pour complice le goût dépravé du public, que, déviant de sa fin, abandonnant ses propres lois, qui sont la garantie de sa dignité, elle ne descende des régions pures de l’art, qu’elle ne se fasse ce qu’elle n’est que trop souvent,