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une certaine généralité mêlée à l’individualité. Le sculpteur est forcé d’abstraire et de généraliser. Tout ce qui est trop prononcé, trop animé, trop mouvementé lui est interdit ; un certain calme dans le mouvement doit caractériser ses œuvres. C’est la loi de cet art.

Tout cela est l’opposé de la mimique, art du mouvement, successif, animé, individualisé, pathétique, dont le geste associé à la physionomie est le moyen principal.

Quand on dit de la danse qu’elle est la statuaire en mouvement, on fait une pure métaphore, qui, prise à la lettre, serait un contresens. La statuaire en mouvement serait une contradiction ridicule, car précisément le mouvement réel lui est interdit. S’il lui est donné de le simuler, ce n’est qu’avec la plus grande réserve et à la condition de n’en donner que le signe. Dès que la sculpture abandonne le repos, elle n’est plus elle-même. Mise en mouvement, la statue sortant de son piédestal est un fantôme propre à effrayer les enfants s’il était pris au sérieux. Qu’on se figure que tout à coup, obéissant à la baguette magique d’un enchanteur, les personnages d’un musée d’antiques quittent leur socle et sous nos yeux se meuvent, la danse macabre qu’il leur ferait exécuter convertirait la salle en un théâtre de marionnettes. Précisément le problème de la sculpture, n’est-ce pas d’immobiliser le mouvement, de représenter le mouvement dans ce qui est en repos, la matière pesante et immobile ? Éterniser la durée, enlever au temps ce qui est le temps même, la durée successive, c’est le triomphe de l’art. La merveille est de réaliser cet idéal. La statue immobile dans son calme et son mutisme, non colcrée, froide, inanimée si l’on veut, mais exprimant la vie, accomplit ce prodige. Dans un seul moment, dans un unique symbole, elle met sous nos yeux une existence tout entière ; mariant ensemble ce qui semble s’exclure : la généralité avec l’individualité, le repos ou l’immobilité avec la durée successive.

Cela n’a donc rien à voir avec l’œuvre mimique. Celle-ci représente, il est vrai, aussi une action, un type, un caractère, une passion, mais par un être vivant qui se meut en tout sens, qui exécute des mouvements et des gestes, simule une action successive ; celle-ci, une fois exécutée, ne laisse rien après elle et s’évanouit dans l’éternelle durée.

Veut-on une preuve palpable de la différence des deux arts : ce qui s’appelle les tableaux vivants nous la fournira. Et cet exemple est a fortiori, car l’immobilité y est simulée. Il semble que le sculpteur ici doive s’avouer vaincu. L’exemple prouve aussi que ce n’est pas l’imitation qui est l’objet de l’art. Que l’on essaye de substituer à la pierre et au marbre le mensonge de la réalité vivante. Il y a là