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2o La seconde conséquence est beaucoup plus grave encore que la première et nous devons surtout nous y arrêter.

Là, en effet, est précisément le nœud de la question que nous étudions. Ce que nous allons expliquer et dire, le bon sens l’a toujours senti et jugé. La science en fournit la raison. Cette raison, la voici :

Le corps humain a été donné à l’homme pour qu’il se représente lui-même, non pour qu’il imite ou représente ce qui n’est pas lui, ce qui n’est pas la personne. Là est la pierre d’achoppement de la mimique, ce que j’appellerai son péché originel.

Le rôle que la personne humaine est appelée à jouer dans son existence terrestre ou cosmique est étroitement lié au corps qu’elle anime. Ce rôle est un rôle sérieux.

Cela étant, il cst fait pour exprimer exclusivement ce qu’elle sent, ce qu’elle pense, ce qu’elle veut, ce qu’elle éprouve elle-même, non ce qui lui est étranger, ce qu’elle ne sent pas et ne pense pas, en un mot pour le feindre ou le simuler. Le fait-elle sérieusement, c’est mensonge. D’une façon non sérieuse, comme jeu, amusement, divertissement, cela encore est permis ; mais il est à craindre que la personne, dans sa dignité, ne soit blessée. La puissance dont on usurpe le domaine, y mettra ses restrictions et des conditions.

Imaginez un art qui précisément se trouve placé sur ce terrain. Quelle sera sa place parmi les arts ? Il est évident qu’elle sera inférieure, subordonnée. Ceux-ci, libres dans leurs créations, disposant d’une matière indifférente, à qui ils confient leur pensée, dans le but de la façonner à leur gré, créent tout un monde fictif d’apparences ou de symboles qu’ils empruntent à la matière, ajoutant, comme dit Bacon, l’homme à la nature.

De grands moralistes, stoïciens, académiciens, etc., l’ont dit. L’homme est avant tout artiste de lui-même, artifex sui. Qui oserait dire qu’ils n’ont pas raison ? Mais cela étant vrai, qui ne voit que, si elle a souci d’elle-même et de sa dignité, il ne sera pas permis à la personne humaine, sinon accidentellement, momentanément, avec une grande réserve, de prêter son corps à la représentation de toutes sortes de scènes, de caractères, de situations, de prendre la figure de divers personnages fictifs ou apparents, de lui faire exprimer toutes sortes de sentiments, de passions, d’actions. L’art dont il s’agit ne sera toujours qu’un art subordonné, obligé, pour avoir toute sa raison d’être, de se mettre au service des autres arts. Il ne pourra compter lui-même parmi les arts libres et indépendants ; ou alors il sera au plus bas degré de l’échelle.

Il y a là, disons-nous, un obstacle infranchissable qui empêchera toujours la mimique, comme art indépendant, d’être classée parmi