Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
BÉNARD.la mimique dans le système des beaux-arts

qui est sa prérogative, qui est le vrai verbe humain, reflet d’un autre verbe, son image affaiblie, mais réelle et vivante. Ce qui est vrai, c’est que sur le terrain de la parole parlée ou écrite, la mimique ne peut pas même engager la lutte avec les arts auxquels on prétend l’assimiler.

La preuve fournie par l’histoire ne résiste pas mieux à l’examen que la première.

Il y a plus, de cette preuve que les faits établissent, il ressort précisément le contraire de ce qu’on veut prouver. Car : 1o l’histoire montre que cet art, la mimique, la danse en particulier, au lieu de croître en dignité et en importance comme les autres arts, décline et perd sans cesse sous ce rapport, à mesure que l’homme se perfectionne et devient de plus en plus civilisé ; 2o il n’est pas moins évident qu’à mesure que les autres arts, sans rompre les liens qui les unissent, se distinguent et se détachent les uns des autres, qu’ils acquièrent une existence indépendante et, par là même, atteignent à un plus haut degré de perfection, celui-ci, venant à se détacher des formes de la pensée avec lesquelles il était mêlé, pour devenir un moyen de plaisir, déchoit et tombe au niveau d’un simple jeu ou divertissement.

Un aperçu rétrospectif, avec quelques distinctions faciles à saisir, suffira pour justifier cette double proposition.

Si l’on jette un coup d’æœil sur l’histoire de tous les arts auxquels on prétend assimiler la mimique, la danse en particulier, on voit que chacun d’eux, bien qu’ayant été à son origine et plus tard longtemps encore au service des autres formes de la pensée, ou d’institutious différentes telles que la religion et le culte, la politique, l’éducation, etc., sans s’en détacher tout à fait, ni rompre le lien qui l’unit à elles comme aux autres arts, a néanmoins peu à peu conquis son existence propre, libre et indépendante.

Il est aussi à remarquer que, dans cet affranchissement progressif, aucun d’eux non seulement n’a perdu de sa valeur et de sa dignité, mais que chacun de ces arts au contraire y a gagné plutôt de se perfectionner selon ses lois ou conditions propres et de se rapprocher davantage de son véritable objet, la représentation idéale du beau. Ainsi en a-t-il été de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, de la musique et de la poésie. En a-t-il été de même de la mimique ? A-t-elle suivi cette loi du développement de l’art ? C’est précisément pour elle le contraire. À l’origine elle n’est pas elle-même. Le beau, du moins, n’est pas son principal objet ; elle est purement ou principalement symbolique, religieuse ou nationale, guerrière, c’est-à-dire affectée et subordonnée à d’autres fins que la sienne.