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analyses. — g. von gizycki. Moralphilosophie, etc.

la bonne conduite est son adaptation au bonheur général, c’est donc évidemment que ce bonheur général est la seule vraie fin de la conduite. Dans l’analyse de M. de G., il semble que la réalisation du bonheur général ne soit qu’un moyen pour l’individu de satisfaire sa conscience. Or, à notre sens, c’est juste le contraire. La conscience n’est qu’un moyen et pour ainsi parler un organe du bonheur général, organe que les conditions mêmes de la vie sociale créent chez les individus et à l’aide duquel la société arrive à leur imposer le respect et même à leur inspirer l’amour du bonheur général. Mais justement ce qui manque dans l’exposition de M. de G. c’est l’explication des origines de la conscience. Il condamne l’intuitionnisme, et cependant, en certains passages, il parle de la conscience en véritable intuitionniste. Il prend trop la conscience comme un point de départ pour le moraliste. Elle peut l’être assurément, mais à une condition : c’est qu’on la présente elle-même comme un point d’arrivée, comme un résultat, autrement elle se trouve absolument suspendue en l’air et on ne voit pas la raison de son autorité.

Cette réserve faite, il faut reconnaître que M. de G. a mis du moins clairement en évidence le rôle et l’importance des sentiments moraux. Il montre, dans un excellent chapitre l’impossibilité de réduire les motifs moraux à la pure raison. « La raison parle à l’indicatif, non à l’impératif. » Elle ne fournit que des formes logiques dont on ne peut rien tirer de moral. C’est Kant, on le voit, qui sans être nommé est ici visé, et même atteint, croyons-nous.

II. — Dans la série des chapitres suivants (sixième et septième section et appendice), M. de G. reprend à un point de vue surtout pratique la question inépuisable de la liberté. Nous le connaissions déjà comme résolument déterministe. Son but principal est ici de faire voir que non seulement la morale n’a rien à perdre, mais qu’elle a tout à gagner à l’adoption du déterminisme. Seul il explique la responsabilité, les châtiments, les promesses, etc. ; dans l’indéterminisme au contraire nos actes cessent d’être vraiment nôtres ; la responsabilité, le mérite, etc., deviennent inintelligibles. L’argument fondamental est tiré de la confusion constamment commise par les partisans du libre arbitre entre la détermination et la contrainte ; agir d’une manière déterminée ce n’est pas cesser d’agir par soi-même. Au contraire, c’est alors seulement que l’action émane vraiment de nous. On ne peut dire que nous ne faisons ce que nous voulons que « si nous voulons d’après ce que nous Sommes », suivant le mot de Schopenhauer. La conclusion est « qu’on s’efforce en vain de découvrir une opposition entre notre conscience logique et notre conscience morale. La morale n’est pas illogique ni la logique immorale. La loi de causalité, loin d’être exclue, est supposée par la morale. »

La critique que, dans un bon appendice, M. de G. présente de la théorie kantienne de la liberté, a ce mérite de ressortir pour ainsi dire d’elle-même du choc de textes bien choisis, et dont le rapprochement