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analyses. — g. le bon. les premières civilisations.

près conforme aux histoires de Maspero et de Rawlinson ; çà et là quelques hypothèses pour combler des lacunes. M. Le Bon a dû s’apercevoir en l’écrivant que l’histoire des peuples de l’Orient est trop mal connue pour apporter une confirmation utile à l’hypothèse de l’évolution. Le développement d’un peuple ne peut être étudié historiquement qu’au moyen de documents datés ; or des cinq peuples de l’Orient trois (Juifs, Phéniciens, Perses) ne nous ont laissé aucun document de date sûre et pour les deux autres nous n’avons qu’une chronologie incomplète et discutée. Tout ce qu’on peut espérer prouver, c’est que nos Connaissances sur les civilisations orientales ne sont pas en contradiction avec la théorie de l’évolution.

On peut faire quelques réserves sur certaines opinions de l’auteur.

M. Le Bon a sans doute été préoccupé de combattre la doctrine qui fait de notre morale raffinée un fruit du christianisme. « C’est à tort, dit-il, que l’on ferait marcher de pair chez un peuple le sentiment religieux et le sens moral. » Mais ce qu’il appelle sens moral n’est autre chose que notre idéal contemporain en matière de morale. Que cet idéal ne soit pas l’œuvre des religions, on peut le soutenir. Mais il n’en suit pas que d’autres morales fondées sur un autre idéal, ne soient pas le produit des croyances religieuses. « Les Grecs, dit M. Le Bon, non seulement ne faisaient pas de leurs dieux la source de toute morale, mais les représentaient comme fort immoraux. » Immoraux suivant notre morale, mais non suivant la morale des Grecs ; le Grec religieux (je ne parle pas des philosophes), prenait justement pour règle de conduite, c’est à dire pour morale, la volonté de ces dieux que M. Le Bon trouve immoraux. Immoral est un mot de la langue vulgaire, il n’a de sens scientifique que pour désigner un homme qui n’aurait absolument aucune règle de conduite. Il y a ici, semble-t-il, une infidélité à la théorie de l’évolution. « Non seulement la religion, c’est-à-dire les devoirs des hommes à l’égard des dieux, n’avait rien à faire avec la morale, c’est-à dire les devoirs des hommes les uns envers les autres ; mais souvent les principes de l’une se sont trouvés en opposition directe avec les principes de l’autre. Des religions qui prescrivaient l’immolation des prisonniers de guerre ne pouvaient que retarder l’évolution de la morale. » Ces tournures de phrase pourraient laisser supposer que M. Le Bon croit à une morale unique, en contradiction avec des religions particulières ? Ne serait-il pas plus exact de parler des morales locales dont l’évolution a accompagné l’évolution des religions ?

M. Le Bon voit dans la guerre « le facteur le plus énergique du progrès », l’aiguillon le plus énergique de l’intelligence, « une application de « la sélection qui fait disparaître les plus faibles et les incapables ». C’est une « loi nécessaire… à la fois clairvoyante et aveugle, bienfaisante et cruelle ». — J’avoue ne pouvoir partager cet enthousiasme pour la guerre. Jusqu’ici, elle a favorisé non les individus les mieux doués, ni même les peuples les plus énergiques, mais les États