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analyses. — g. le bon. les premières civilisations.

avec celui qu’il a trouvé établi dans son nouveau milieu. « Les influences de l’hérédité sont alors dissociées et en partie annulées, et l’action du milieu recouvre toute sa force. » Il en est exactement de même du milieu moral ; les idées et les sentiments des émigrés persistent dans leur milieu nouveau, elles ne s’affaiblissent chez leurs enfants que s’ils s’allient à des habitants du pays.

La race s’est formée sans doute « au moyen de lents changements produits par la variabilité des milieux, par la sélection, et accumulés par l’hérédité ». Mais en quoi consiste la race ? Ici, M. Le Bon se sépare hardiment des anthropologistes. « C’est en vain qu’on demanderait aux caractères anatomiques les moyens de différencier les peuples. La couleur de la peau ou des cheveux la forme ou le volume du crâne ne donnent que des divisions fort grossières. La psychologie seule permet de préciser nettement les différences entre les races. » Il cherche donc le principe de classification des peuples dans leur constitution mentale. « Les deux éléments fondamentaux… sont le caractère et l’intelligence. » Du degré de l’intelligence dépend le niveau de la civilisation ; de la force du caractère dépend le succès de la race dans le monde. M. Le Bon n’a pas cherché à préciser le sens des mots caractère et intelligence ; une classification précise lui a paru inutile sans doute, pour comprendre les indications générales auxquelles il voulait se borner. Mais il a tenu à insister sur le rôle prépondérant du « caractère national d’un peuple » qui est « le résultat des expériences et des actions de toute une longue série d’ancêtres ». Chaque individu subit le poids de la vie passée de ses ancêtres, il obéit à la « voix des morts », plutôt qu’à sa raison. Aussi « pour comprendre l’évolution d’un peuple, faut-il d’abord étudier son histoire ». — Mais on doit se garder de confondre un peuple avec une race ; un peuple est d’ordinaire la réunion de plusieurs races. Quand le mélange a duré plusieurs siècles, le peuple peut se transformer en une nouvelle race homogène (M. Le Bon en à vu un exemple en Galicie au pied des Tatras) ; mais il faut des conditions spéciales pour opérer cette fusion. La plus importante est que les races à mélanger ne soient pas très dissemblables ; « jamais les métis n’ont fait progresser une société ; le seul rôle qu’ils peuvent remplir est de dégrader, en les abaissant à leur niveau, les civilisations dont le hasard les a fait hériter » ; au contraire, le mélange entre races déjà civilisées a produit les peuples les plus avancés du monde. La civilisation, qui tend à différencier de plus en plus les races, rendra bientôt impossible la fusion des plus avancées avec les plus arriérées. Déjà, dans un même peuple civilisé « les différences sont formidables » entre les couches supérieures et les inférieures. Le cerveau moyen des civilisés augmente lentement, tandis que la différence entre les grands et les petits cerveaux s’accroît de plus en plus vite. « Après des observations répétées bien des fois dans mes voyages je suis arrivé à la persuasion que les couches moyennes des peuples asiatiques, Chinois, Hindous, etc., ne sont pas inférieures aux couches européennes corres-