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par aucun historien. — À la religion M. Le Bon donne une base plus large que Spencer ; il la fait dériver de la crainte, de l’espérance et du sentiment de la dépendance : il rejette la théorie de la mythologie comparée orthodoxe, « qui fonde la religion sur le besoin d’expliquer les phénomènes naturels et l’existence du monde » ; l’expérience lui a montré que « les natures primitives ne cherchent aucune explication aux phénomènes » ; quant à l’enfant « il ne pose guère ses mille questions que pour qu’on s’occupe de lui ». À la succession des religions (fétichisme, polythéisme, monothéisme), M. Le Bon ajoute « le panthéisme et le boudhisme athée » qui « seraient les deux conceptions religieuses les plus élevées auxquelles il aurait été donné aux hommes d’atteindre » si la pratique de ces religions répondait à la théorie. Mais les religions « ne valent absolument que suivant le peuple ou l’individu qui les pratique », les plus élevées se déforment dans les esprits ignorants : « Les prêtres orientaux l’ont mieux compris que nous… ils se gardent de dévoiler à la foule leur philosophie panthéiste ou athée. C’est que l’esprit oriental est plus apte que le nôtre à comprendre la loi d’évolution. » — La morale « varie d’une race à l’autre ; il n’y a pas de morale universelle » ; notre morale est même contraire à la morale primitive. « Les principaux facteurs du développement de la morale sont : l’utilité, l’opinion, le milieu, l’hérédité, les sentiments affectifs[1]. » Les croyances religieuses n’ont qu’un « rôle très secondaire ».

Les gouvernements sont nés de la guerre et de l’industrie dont l’évolution « détermine à travers les âges l’évolution des institutions politiques ». Les croyances religieuses ont exercé aussi une action très considérable, « la volonté des dieux se retrouve à la base des gouvernements ».

Le livre II est consacré à l’étude des facteurs qui déterminent l’évolution d’un peuple. Ce sont : le milieu, la race, l’aptitude à varier, l’agriculture et l’industrie, la lutte pour l’existence, l’influence des grands hommes, les illusions et les croyances.

C’est ici la partie la plus originale de l’ouvrage, où sont consignées les observations personnelles de l’auteur.

Aux historiens qui confondent le milieu avec le climat, M. Le Bon rappelle les autres éléments du milieu, la configuration du sol et les productions qui, pendant toute l’antiquité, ont déterminé les conditions d’existence et même les institutions sociales. Les pays de forêts font des peuples chasseurs, par suite barbares et despotiques, comme dans l’Amérique méridionale (M. Le Bon ajoute l’ancienne Gaule) ; les steppes produisent des tribus pastorales, nomades, organisées en familles patriarcales et destinées aux émigrations périodiques.

Le milieu a dû agir surtout au début de l’humanité, quand les races n’étaient pas encore différenciées ; sur un peuple déjà formé il n’exerce plus qu’une action très lente, à moins que ce peuple ne se mélange

  1. Effectifs dans le texte p. 95 est, je pense, une faute d’impression.