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la voie était ouverte, les procédés connus et leur efficacité vérifiée. De la sorte, bien des tâtonnements ont pu être évités. Au surplus, l’intelligence peu commune du sujet, servie par une curiosité toujours en éveil et par une ardeur pour l’étude que l’on doit sans cesse modérer, offrait un terrain admirablement propice. Et c’est ainsi qu’après huit mois la petite infirme pouvait passer de l’usage de la troisième personne ( « Hélène veut du lait » ) à l’emploi de la première ( « je veux du lait » ), et après cinq mois seulement écrire ces lettres étonnantes dont le rapport nous donne la reproduction autographiée.

M. Anagnos nous apprend que « pendant l’année écoulée son vocabulaire s’est enrichi de trois mille mots ». Bien qu’au premier regard un tel chiffre puisse paraître excessif, il faudrait, avant de le contester, savoir combien de mots comprend le vocabulaire d’un enfant de huit ans, et surtout tenir compte de la remarquable intelligence d’Hélène et des circonstances tout à fait particulières dans lesquelles elle s’est trouvée placée.

Comme L. Bridgman, elle goûte beaucoup la musique qu’elle perçoit de la même manière. « L’été dernier, dit M. Anagnos, assistant à un de nos concerts hebdomadaires, elle fut tellement enlevée par la cadence de la musique qu’on eut beaucoup de peine à l’empêcher de danser. » Aussi bien elle adore la danse, que lui ont apprise ses petites compagnes. — Son cerveau est continuellement en travail ; et, soit qu’elle lise, soit qu’elle réfléchisse, soit qu’elle dorme, toujours et invariablement elle épelle avec ses doigts ses perceptions, ses pensées ou ses rêves. — Par l’habitude elle a acquis une grande dextérité dans le maniement de l’alphabet tactile ; grâce aux symboles abréviatifs qu’elle s’est créés, elle lit et s’exprime avec une rapidité surprenante. Un des traits les plus curieux de sa nature est son instinct d’imitation : souvent il lui arrive d’émettre des sons gutturaux, comme si elle chantait ; d’autres fois elle se penche sur un volume d’un air absorbé et feint de lire en remuant les lèvres. Elle peut encore reproduire avec beaucoup d’exactitude le geste et lattitude d’une statue qui frappe son attention.

Au moral, c’est une enfant d’un excellent naturel, patiente, affectueuse, pleine de bonne humeur. Elle est, ajoute le rapport, « pure comme le lys de la vallée, innocente et gaie comme les oiseaux de l’air et les agneaux des champs ». À ce ton il ne serait pas impossible de deviner, si l’on ignorait ce détail, que l’excellent directeur est un compatriote de Pindare : il ne se possède pas, l’enthousiasme le possède, et son récit est une ode bien plus qu’un procès-verbal. Tout à l’heure il déplorait ainsi le malheur de la petite infirme :