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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

écrivain pour lui faire redire des choses différentes de celles qu’il a pensées ; on hésite à lire entre les lignes, parce que les choses que l’on y aperçoit contredisent le sens d’une suite de pensées d’autant plus importantes qu’elles contiennent l’esprit général d’une doctrine. Et cependant, comment s’y prendre pour découvrir dans ce passage autre chose qu’un désaveu. Comment ! Le livre a été fait pour changer nos habitudes et nous inviter à remplacer l’ancien ordre de succession des êtres par un ordre nouveau ; l’audace du livre est précisément dans le renversement de la biologie traditionnelle, dans ce rang d’avant-garde assigné aux êtres organiques, dans la production de la « matière brute » par la « matière vivante » contemporaine de la première heure de la création, etc., puis, au moment de se transporter par la pensée à cette première heure et d’assister à la naissance de la vie, voilà que le philosophe se trouble et qu’à l’horizon, bien au delà de ces degrés sur lesquels il voit apparaître les vivants, son imagination lui en représente d’autres et il n’ose confesser que ces autres êtres, privés du don de se reproduire, sont par cela même indignes d’être appelés vivants. Qu’est-ce que ces atomes dont il peuple l’espace ? Ils vont et viennent, paraissent et s’enfuient, comme les marionnettes du théâtre de la foire, « ils font deux, trois révérences, tournent sur leurs talons et puis s’en vont ».

La scène reste-t-elle vide ? — Non ? — Mais que sont les êtres qui la remplissent ? Des êtres nouveaux, créés par miracle, des êtres anciens, élevés à la dignité de vivants par l’actuation de leurs énergies latentes ? Auparavant, il y avait un grand nombre « d’apparitions primitives ; avec la génération apparaît, etc. ». Impossible de s’y méprendre ; il y a, selon M. Delbœuf, un avant la génération, un prologue à ce drame de la création du monde dont le premier acte serait l’apparition de la vie. Mais qui ne voit combien, d’un prologue à un premier acte, la différence est vaine et que, dès le prologue, le drame a commencé ! Est-ce nous qui abusons d’une insuffisance de commentaires ? Est-ce M. Delbœuf qui, par excès de scrupules, ne craint pas d’abattre d’une main, et en un clin d’œil, ce que de l’autre main il a lentement et laborieusement élevé ? Nous prononcer serait présomptueux ; mais comment dissimuler l’impression que nous causent ces oscillations d’une pensée tantôt aventureuse, tantôt effrayée de ces audaces, au point de s’en repentir et presque de se démentir ?

IV

Nous en sommes encore aux principes de cette doctrine à laquelle les deux noms de Preyer et de M. Delbœuf méritent de rester atta-