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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

l’ordre biologique et à l’ordre inorganique l’apparence de deux ordres irréductibles. En douant ses monades de perception et d’appétition, en reconnaissant aux monades les plus infimes un degré de perception qui, pour si rapproché qu’il soit de l’inconscience totale, en diffère pourtant de toute la différence du néant à l’être, Leibnitz a subordonné partout, dans la nature, le mécanisme à l’activité spontanée de telle sorte que nulle part, en aucune partie de l’univers, le mécanisme ne règne seul. La vie, telle que les biologistes s’entendent à la définir, serait dès lors en puissance chez les êtres auxquels la vie ne semble pas appartenir.

Il serait à coup sûr imprudent d’ériger en disciple indépendant de Leibnitz un philosophe aux yeux de qui l’ordre de succession des êtres est précisément inverse de l’ordre communément accepté : or Leibnitz n’en concevait pas un autre. Il voulait que les corps bruts, ou censés tels, eussent devancé les êtres vivants ; dans la hiérarchie des êtres, il plaçait ceux dont le caractère de vivants se manifeste bien au-dessus de ceux qui simulent l’inertie. S’il croyait à une évolution des monades, et ce n’est pas sans motif qu’une telle croyance devrait lui être attribuée, il assignait à ce développement la même marche et le même sens que M. Herbert Spencer ; il donnait au vivant la supériorité sur le non-vivant, et la complexité de structure d’une part, de l’autre, le fait d’être régi par un plus grand nombre de lois, attestaient cette supériorité. Il eût peut-être signé des deux mains, sauf d’insignifiantes réserves, la formule de la loi d’évolution donnée dans le livre des Premiers Principes. Or cette formule serait, ou peu s’en faut, le contre-pied de celle qui résumerait, selon M. Delbœuf, la loi générale de développement des êtres et réglerait l’ordre de leurs apparitions. M. Delbœuf est bien près d’être « autodidacte » en biologie. Il. procède de Preyer, mais il le dépasse singulièrement et, de plus, il fait reposer sa biogenèse sur un principe dont il a donné le premier la formule. Il n’y a donc pas lieu de rattacher aux vues de Leibnitz celles de M. Delbœuf.

Et pourtant, si l’on cherche d’où provient cette théorie d’après laquelle l’origine des vivants se confondrait avec celle du monde, si l’on reconnaît aisément — et il est difficile de ne le pas reconnaître — qu’elle est née du désir de vaincre une difficulté insurmontable et inévitable, d’un effort prémédité pour combler un vide, pour faire disparaître entre les deux mondes — celui de la matière et celui de la vie — la plus scandaleuse des solutions de continuité apparentes, c’est à l’inspiration leibnitienne qu’il faut faire honneur de la théorie. Entre M. Delbœuf et l’auteur de la Monadologie l’entente est possible, sinon en tout, du moins en ceci, qu’entre la matière brute et la