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LA DOCTRINE BIOLOGIQUE DE M. DELBŒUF


Quelles sont, parmi les difficultés que la philosophie soulève, celles que M. Delbœuf n’a point tenté de résoudre ? À toutes il a une réponse et une réponse qu’il n’est point allé chercher chez les autres. C’est donc un des penseurs les plus féconds de notre temps et aussi, ce qui ne gâte rien, un des sectateurs les plus ardents de cette « libre philosophie » dont Bersot voulait rester l’adepte et dont la pratique exige autre chose que l’envie de penser par soi-même. Ira-t-on jusqu’à dire que la libre philosophie ne convient qu’aux Descartes, aux Leibniz, aux Kant, à ceux qui par la puissance du génie renouvellent l’esprit humain et lui ouvrent des perspectives inattendues ? On exagérerait à le penser ; à défaut de génie quelque originalité doit suffire et c’est déjà se disposer à en avoir que d’aimer poser le pied hors des voies communes. Ceux qui ne veulent pas marcher à la remorque d’autrui et que la vigueur insuffisante du coup d’aile ne peut élever assez haut pour qu’ils planent sur la totalité des choses et les embrassent toutes ensemble du regard, ceux-là se résignent à ne point aller partout le même jour ; ils font plusieurs voyages et de leurs souvenirs, d’abord juxtaposés, ils tentent de composer un ensemble. Le succès n’est pas infaillible. Mais le moyen de faire autrement quand on manque du génie qui fait les fondateurs d’école, et qu’on a d’autre part assez d’invention pour ne se résigner point au rôle de disciple, qui est souvent, il faut bien le dire, un rôle d’écho ? La libre philosophie est donc vouée à cette alternative, ou de découvrir un mode de penser nouveau, systématiquement applicable à chacun des grands problèmes, ou de se borner à des vues éparses, n’embrassant qu’un petit nombre de vérités ou de faits, quitte à entreprendre par après et tant bien que mal le travail de coordination indispensable.

Les thèses de M. Delbœuf sont bien connues ; je n’en rappellerai que les principales. Il croit que le principe de la conservation de l’énergie ne suffit pas à l’explication de la nature et il lui en adjoint un autre : le principe « de la fixation de la force », sur lequel nous