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ANALYSES.hennequin. La Critique scientifique.

non parce que celle-ci l’a produite, mais parce que celle-ci l’a adoptée et admirée, s’y est complue et reconnue. »

En ces quelques lignes se trouvent exprimées une doctrine et une méthode, qui ne marchent pas nécessairement ensemble. Je dirai plus loin quelle est la doctrine. Parlons d’abord de la méthode. Si elle est juste en partie, elle ne va pas sans difficultés. La statistique de l’admiration, qui serait le principal instrument de la psychologie des peuples[1], ne laisserait pas d’être malaisée à dresser. Un même individu figurerait fréquemment sur plusieurs listes de nos tableaux. On peut admirer dans l’œuvre d’autrui des qualités qu’on n’apporte pas dans la sienne propre, ou qu’on ne possède point dans son propre caractère. Une part énorme est à faire à la réclame, à la mode, dans le succès de certaines œuvres. Bref, il existe de nombreuses causes d’erreur, qui vicieraient les résultats, et M. H. en a signalé quelques-unes. Le rapport est enfin beaucoup plus lâche, il faut bien le dire, des qualités de l’œuvre à celles de ses admirateurs, qu’il ne l’est à celles de son auteur.

On est frappé aussi, au courant de la lecture, de voir M. H. restaurer quelquefois d’une main ce qu’il a ruiné de l’autre. S’il nomme des artistes qui auraient été en opposition avec le milieu social (p. 108), c’est donc que le milieu porte sa marque reconnaissable. S’il nous dit que l’habitat ne modifie pas les traits généraux d’une race (p. 119), c’est donc qu’une race possède des caractères généraux, suffisamment persistants, et qui s’héritent. Il ne conteste pas, sans doute, ces influences de l’hérédité, de l’éducation, etc., dont il récuse seulement l’emploi utile. Mais à négliger, ici surtout, les caractères extérieurs, et à retirer, en quelque sorte, les données physiologiques des données intellectuelles, on courrait le risque d’établir une description de peuples sans racines dans le sol qui les nourrit, sans filiation entre eux, et peu s’en faut incorporels.

M. H., rendons-lui toute justice, ne voulait pas cela, et il réintègre dans la synthèse, par voie régressive, les données qu’il écartait de l’analyse. Il entendait maintenant considérer l’œuvre de front et du dehors, comme une force dont le choc est à mesurer ». « L’effet de l’œuvre, écrit-il (p. 167), étant l’émotion qu’elle suscite, et cette émotion accompagnant l’image sensible de son contenu dans l’esprit de son sujet, c’est la reproduction de l’œuvre qu’il faudra tenter, en l’accompagnant de son indice émotionnel. Ce sera en faire, en un autre terme, la paraphrase. Relisant le livre, évoquant le tableau, faisant résonner à son esprit le développement sonore de la symphonie, l’analyste, considérant ces ensembles comme tels, les restaurant entiers, les reprenant et les subissant, devra en exprimer la perception

  1. Une psychologie des peuples, est-il besoin de le faire remarquer, exigerait, outre la connaissance des événements artistiques, matière de l’esthopsychologie, celle des événements économiques, juridiques (moraux, religieux) et intellectuels (développement des sciences, etc.).