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ANALYSES.hennequin. La Critique scientifique.

fond du plaisir du beau, remonter aux perceptions mêmes, aux états perceptifs de la vue ou de l’ouïe, lesquels sont agréables ou désagréables selon la nature et le degré de l’excitation. Il suffit d’un assemblage de couleurs, ou de quelques accords plaqués sur un piano, pour me donner une jouissance particulière, où je ne ressens ni terreur, ni colère, ni pitié, et qui n’est pas une émotion ordinaire transformée. Les arts se distinguent par le matériel de perceptions dont chacun fait usage. Dans les produits simples de l’art plastique, dans la poésie de mots, le plaisir paraît dépendre immédiatement de l’excitation ; seules les œuvres dramatiques, parce que leur matériel est l’action humaine, appellent nécessairement un cortège d’émotions ordinaires, pénibles ou joyeuses, qui n’y prennent cependant, pour parler la langue de M. H., qu’un faible indice de joie ou de douleur ». Mais il est parti de l’étude des œuvres complexes, il a négligé les cas simples, et il a donné pour premier temps de l’état émotionnel un sentiment d’exaltation neutre qu’il serait plus légitime d’attribuer au moment de la perception.

Si l’on veut estimer la valeur d’art », il ne suffit point de noter la qualité ou la quantité des émotions accessoires que suscite l’œuvre, et il ne s’agit pas seulement de savoir si elle provoque en nous un sentiment de vive sympathie ou d’ardent patriotisme ; il faut étudier la langue même de l’émotion, le rapport choisi entre les perceptions qui en sont l’instrument, la mise en œuvre ». Un chant national, quoique médiocre, peut nous remuer profondément. L’air assez banal de Halévy, Jamais en France, jamais Anglais ne règnera, auraît-il donc des valeurs d’art différentes, selon la haine des auditeurs contre la perfide Angleterre ?

Laissons ces questions de philosophie pure[1]. Aussi bien M. H. avait-il raison de relever les émotions accessoires auxquelles chaque poète fait le plus souvent appel. C’est un excellent moyen de l’analyse psychologique, celle qui étudie l’œuvre, je le répète avec lui, « en tant que signe de l’homme qui l’a produite ». Il rejette au dernier plan, nous l’avons dit, l’enquête biographique. « C’est de l’examen seul de l’œuvre, déclare-t-il expressément (p. 65), que l’analyste devra tirer les indications nécessaires pour étudier l’esprit de l’auteur ou de l’artiste qu’il veut connaître, et le problème qu’il devra poser est celui-ci : étant donnée l’œuvre d’un artiste, résumée en toutes ses particularités esthétiques, de forme et de contenu, définir en termes de science, c’est-à-dire exacts, les particularités de l’organisation mentale de cet homme. »

Je ne mets pas en doute qu’on puisse atteindre à d’excellents résultats par la méthode interrogative de M. H. Le raisonnement par lequel il la justifie (il faut lire dans l’ouvrage ces pages intéressantes) est une

  1. Je prends la liberté de renvoyer le lecteur au chap.  VII de mon livre, la Morale dans le drame, dont la 2e édition est sous presse. Il y trouvera le développement des idées sur lesquelles cette critique est établie.