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REVUE GÉNÉRALE.philosophie mathématique, etc.

général, où elles sont très distinctes, c’était cependant une faute logique incontestable. Cette faute s’aggrave outre mesure, si l’on insiste sur le fait empirique de la discontinuité, comme dans la théorie en cours de la plus petite différence perceptible. Alors on aboutit fatalement à des contradictions.

Peut-on nier absolument, comme le fait M. Grotenfelt, la réalité de cette discontinuité ? Je serais beaucoup plus disposé à distinguer les deux faces du phénomène de l’aperception, à les dénommer même différemment, si l’on veut ; car il me semble que, dans la majorité des cas, il y a dans le jugement que la différence de sensation est perceptible ou non, quelque chose de beaucoup plus net que dans l’affirmation que deux différences de sensations sont égales ou inégales. Mais, en tout cas, je suis d’accord avec lui qu’il y a là deux ordres de faits absolument distincts ; seulement j’en conclurais que, jusqu’à nouvel ordre, ils doivent être étudiés à part, tandis qu’on a commencé par les confondre.

La méthode des cas vrais ou faux ou celle des erreurs moyennes ne nous sortent pas des petites différences de sensation ; mais la statistique des appréciations, dans ces circonstances où l’aperception est douteuse, permet ou plutôt (car on n’est pas encore bien d’accord sur la façon de faire) peut permettre de ressaisir la continuité dont le fil semblait rompu. Seulement, pour passer de là aux rapports des différences sensationnelles nettement perçues, il y a encore beaucoup de chemin.

Bref, je voudrais que dans l’aperception on distinguât au moins trois choses : l’aperception pure et simple de la qualité de la sensation, dans laquelle n’intervient aucune idée de mesure ; l’aperception de la différence des sensations, qui tend à un jugement précis, mais simplement par oui ou non, et où il ne peut pas davantage être question de mesure ; l’aperception de relation (jugement d’égalité ou de rapport plus complexe) entre deux sensations ; alors intervient bien la mesure, mais ces sortes de jugements n’ont, en thèse générale, aucun caractère de précision.

Ce n’est certainement pas deux actes comparables que de dire : « Je perçois nettement ces deux sensations comme différentes », ou : « Je crois, autant que j’en puis juger, qu’elles sont égales. » Dans le premier cas, on procède par discontinuité, en écartant les cas douteux ; dans le second, où l’on veut mesurer, on doit par là même supposer la continuité.

Si l’on fait cette distinction, il faut aussi la porter dans la loi de Weber. On dira donc :

L’aperception différentielle commence pour une différence d’excitations qui varie proportionnellement à la grandeur de ces excitations. C’est la loi du seuil, qui repose sur des expériences sérieuses et qu’on peut, dans les limites de ces expériences, considérer comme parfaitement établie.