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tence du seuil de la sensation est un fait qui ne rompt nullement cette continuité, qu’il n’y a nullement une plus petite sensation perceptible à traiter comme une grandeur psychique mesurable et comparable ; bref le seuil de la sensation n’aurait aucune réalité objective ; il n’y aurait sous ce mot qu’une expression pour désigner brièvement un ensemble de faits empiriques.

Sur ce terrain, on peut s’entendre ; je reviendrai toujours à l’exemple qui me semble typique, l’appréciation de la hauteur du ton. Le plus petit intervalle perceptible en musique, le comma, n’a nullement une valeur fixe et déterminée, et son existence n’a rien à faire, elle est même théoriquement contradictoire à la relation logarithmique entre la hauteur du ton et le nombre des vibrations. Mais alors il y a une conclusion inévitable ; il faut refaire de fond en comble la théorie des expériences poursuivies suivant la méthode de la plus petite différence de sensation perceptible ; il faut développer les autres méthodes, des cas vrais ou faux, des erreurs moyennes, et leur donner, en théorie, le rôle prépondérant. Ce travail nous manque toujours, et, à cet égard, l’ouvrage de M. Grotenfelt ne présente que quelques aperçus insuffisants.

Considérée au point de vue physiologique, la sensation est une variable incontestablement continue ; mais je suis le premier à reconnaître que la chance d’aboutir à quelque résultat sérieux est excessivement faible de ce côté, d’ici à longtemps. Il est donc préférable de s’en tenir au point de vue psychologique. Dans ce cas la sensation ou plutôt, pour parler moins ambigument, l’aperception se présente avec un double caractère : comme capable d’évaluer tantôt avec assez de précision, tantôt d’une façon très vague, le rapport de deux sensations ; d’un autre côté, comme incapable de discerner avec certitude s’il y a ou non différence entre deux sensations très voisines. Dans un sens, elle apparaît donc comme donnant une mesure continue ; dans l’autre, comme soumise à une certaine discontinuité.

Voilà le fait brut. Maintenant la question soulevée est de savoir si les jugements portés dans le premier cas sont ou non soumis à une loi générale qui, alors, ne peut être que la loi logarithmique qui régit au moins un ordre particulier de sensations. A priori, rien ne peut prouver que cette loi mathématique est applicable en général ; la question ne peut donc être résolue que par l’expérience.

Or on n’a pas entrepris d’expériences directes sérieuses ; on finira sans doute par en venir là. Mais comme, sauf le cas de la hauteur du son, l’évaluation du rapport des sensations est plus ou moins vague, il est clair que des expériences directes ne donneraient que des nombres très variables, et que la loi mathématique ne ressortirait qu’à grand’peine de la détermination des moyennes.

On a donc eu recours à un autre moyen et on s’est placé dans le cas où la perception semble discontinue. Vouloir passer par des raisonnements théoriques, de ce cas où les sensations sont très voisines, au cas