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peut rencontrer des difficultés considérables et que ces questions mériteraient d’être reprises et approfondies. Mais je voudrais ajouter quelques mots sur le concept du nombre en général.

Les philosophes, en parlant du nombre, se sont presque toujours bornés à considérer le nombre entier. Mais la notion moderne de nombre, en tant qu’expression de la comparaison des grandeurs avec l’unité de mesure, est beaucoup plus étendue, puisqu’elle comprend, en dehors des nombres fractionnaires, les diverses sortes d’incommensurables. Cette généralisation mériterait d’autant plus d’être étudiée au point de vue philosophique, qu’il existe actuellement, parmi les mathématiciens, des divergences profondes sur la façon d’introduire les incommensurables dans la science. Les uns prétendent qu’il faut exclusivement partir du nombre entier et n’aborder les généralisations successives qu’après en avoir rigoureusement démontré la légitimité ; ceux-là, au contraire, pensent que la notion générale doit être posée a priori et que les démonstrations à faire doivent seulement éclairer les relations entre les différentes sortes de nombres. La discussion ne peut manquer, je crois, de finir par attirer l’attention de quelque esprit philosophique, et en tout cas, pour refaire la critique de la notion de nombre, elle ne devrait pas être négligée.

II. — Si la critique de la notion d’espace, chez Kant, est singulièrement plus approfondie que celle du concept de nombre, elle n’en reste pas moins insuffisante sur un point : Pourquoi l’espace a-t-il trois dimensions, ni plus, ni moins ?

Jusqu’à présent, au reste, cette question avait été peu agitée, et je ne sache pas qu’avant M. de La Rive, personne l’ait abordée aussi sérieusement qu’il l’a fait. Il a su combiner un ensemble d’hypothèses plausibles et de déductions rigoureuses, grâce auquel elle reçoit une réponse, sinon complète, au moins relativement satisfaisante, et il me paraît, en tout cas, que ceux qui voudront désormais la traiter à nouveau devront suivre la voie tracée par le penseur genevois.

Malheureusement pour la vulgarisation de son travail, il est rédigé sous la forme d’un mémoire destiné à une société savante, et il se trouve surchargé de développements mathématiques qui rendent la lecture difficile aux profanes. J’essayerai de donner une idée succincte de ce mémoire, en écartant précisément tous ces développements.

M. de La Rive commence à exposer les règles de la composition des couleurs et il montre comment, en représentant les intensités de trois couleurs fondamentales par trois coordonnées rectangulaires, on peut représenter une couleur quelconque comme leur résultante, dont la direction indiquera la nuance et la longueur, l’intensité.

Ce fait tient à une loi générale : si, pour certaines raisons, on est conduit, dans la théorie des couleurs, à choisir d’une certaine façon les trois couleurs fondamentales, ce choix n’en est pas moins arbitraire au fond, et le fait primordial est que notre nerf optique est constitué de façon à