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REVUE GÉNÉRALE.philosophie mathématique, etc.

se préoccuper de la contradiction de cette assertion avec sa définition générale de la mathématique.

Quoique la question soit loin d’être épuisée, ces conclusions méritent d’être prises en sérieuse considération. Toutefois, en ce qui concerne l’exemple de Kant, lequel est incontestablement mal choisi, il me semble difficile d’admettre ces conclusions sans faire quelques réserves, et la question vaut d’autant mieux, ce me semble, la peine d’être discutée que sa solution peut éclairer la distinction des jugements analytiques et des jugements synthétiques.

Que si l’on définit 12 par 11 + 1, et les autres nombres entiers d’une façon analogue, l’égalité 7 + 5 = 12 exprime quelque chose de plus qu’une simple identité, cela est clair. Mais, pour prouver qu’il y ait là synthèse, cela ne suffit pas ; car, en somme, ce jugement n’est nullement primitif, il est déduit. Or, si l’on analyse 7 comme égal, par définition, à 6 + 1, 5 comme égal à 4 + 1, et si l’on admet que, des deux membres d’une égalité, on peut retrancher l’unité sans troubler l’égalité, il est clair qu’on arrive de proche en proche à ramener le jugement proposé au suivant : 1 + 1 = 2, qui est purement et simplement la définition du nombre 2. Ainsi ce jugement proposé se démontre par un procédé purement analytique, sauf l’admission du postulatum que nous avons indiqué. La question se ramène donc à savoir si ce postulatum est ou non synthétique. Or ce point est très discutable ; car on peut très bien soutenir qu’il rentre dans la définition de l’addition, la tendance actuelle en mathématiques étant, d’ailleurs, de définir les opérations fondamentales de façon à éviter tout postulatum subséquent ; on peut très bien au contraire regarder ce postulatum comme un axiome (il rentre dans le troisième d’Euclide) et dès lors on ne peut lui dénier le caractère synthétique.

Tout dépend donc de la méthode qu’on voudra suivre pour la définition des opérations arithmétiques : ou bien on en fait des constructions purement abstraites (comme quand on définit l’addition une opération univoque, associative, commutative, de module 0) et on laisse aux mathématiques appliquées le soin de démontrer ou de prouver que telle opération, effectuée sur des objets sensibles, correspond bien à l’addition ; ou bien on cherche, comme le faisait encore Kant à l’exemple des mathématiciens de son temps, à abstraire le caractère purement intellectuel commun aux diverses sortes d’additions concrètes. La méthode moderne a des avantages qu’il est difficile de contester au point de vue philosophique ; mais il est bien clair aussi que si on l’adopte, la synthèse disparaît absolument de toute opération abstraite, tout en subsistant, il faut bien le remarquer, pour les opérations concrètes. Or cette distinction n’est certainement pas favorable à l’existence dans ce cas de jugements synthétiques a priori, car le caractère concret des opérations rend tous ses droits à l’empirisme.

Je ne veux pas pousser plus loin cette discussion ; il me suffit d’avoir indiqué que la distinction des jugements analytiques et synthétiques