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losophique ? Mais qui, en même temps, lisant bientôt après que l’égalité 7 + 5 = 12 exprime un jugement synthétique a priori, n’a senti renaître ses doutes évanouis et pensé que la distinction proposée était bien loin, dans l’application, de pouvoir se faire avec toute la clarté que promettaient les définitions ?

Je n’ai pas besoin de rappeler les discussions auxquelles a donné lieu l’exemple choisi par Kant ; mais ceux qui l’ont attaqué comme ceux qui l’ont défendu ont abordé la question en elle-même, beaucoup plutôt qu’ils ne se sont préoccupés de savoir par suite de quel ordre d’idées Kant s’était prononcé dans un sens évidemment inattendu pour la majorité des lecteurs. C’est cette lacune qu’a essayé de combler M. Michaëlis.

L’importance de la considération des mathématiques en philosophie ressort immédiatement de la façon dont Kant envisage les problèmes de la théorie de la connaissance. Mais c’est surtout à la géométrie qu’il s’est attaché ; c’est elle principalement qui lui fournit les matériaux pour l’explication de la possibilité des jugements synthétiques a priori. D’ailleurs ce qui le préoccupe avant tout, bien entendu, ce sont les notions d’espace et de temps, et comme, pour lui, la mathématique a pour objet la construction des concepts dans l’intuition pure, on serait tenté de lui attribuer le parallélisme rigoureux : construction des concepts dans l’espace, géométrie ; construction des concepts dans le temps, arithmétique.

Mais ce parallélisme n’est nullement développé par Kant et, si l’on recherche avec soin les passages où il s’explique sur le concept même de nombre, il faut bien reconnaître qu’il l’envisage à deux points de vue qui ne peuvent guère se ramener à un seul. Tantôt il le considère comme un pur concept de l’intelligence, produit par un acte synthétique où n’entre aucun élément dérivé de la sensation, tantôt il l’identifie avec le schéma de la quantité en général, identification où apparaît bien nettement, cette fois, le parallélisme avec la géométrie. Mais, quand il veut rendre compte de la méthode arithmétique, Kant n’ose aller jusqu’où l’entraîne la logique, il ne parle plus que de constructions symboliques et la forme de temps ne joue aucun rôle. D’ailleurs, s’il y a symbole, il n’y a pas schéma. La pensée de Kant, d’ordinaire si ferme et si lucide, est donc inconsistante sur ce point, et la question du concept de nombre doit être reprise à nouveau par l’école critique.

M. Michaëlis pense qu’il faut écarter le temps comme l’espace de la formation du concept de nombre et ne la chercher que dans la raison.

Il faut d’ailleurs se garder de confondre le nombre soit avec le compte (Zahl et Zählen), soit avec la série des nombres, et c’est ce qu’ont fait ceux qui arrivent à une solution différente. Enfin l’assertion de Kant, que les propositions arithmétiques sont synthétiques, est parfaitement fondée. D’autre part, il convient d’observer que, si la géométrie considère le général dans le particulier, l’arithmétique des nombres déterminés ne considère que le particulier, ce que Kant avait déjà dit, sans