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DUNAN.guérison d’aveugle-né

aujourd’hui Helmholtz en Allemagne, et les psychologues de l’école associationiste en Angleterre. Mais si l’on s’étonne qu’il soit possible d’être empiriste sans l’être comme Helmholtz et Bain, c’est que l’on commet ici encore une erreur toute semblable à celle que nous avons signalée tout à l’heure. De même que la théorie que nous avons adoptée au sujet de la perception visuelle de l’étendue n’est pas du tout le nativisme, de même la théorie de Helmholtz et de Bain, faisant coopérer à cette perception le tact et la vue, n’est pas du tout l’empiriste. Cette dernière théorie est même si peu le véritable empirisme, qu’elle l’exclut, et qu’à y bien regarder, elle se confond presque avec le nativisme son contraire. Qu’implique en effet l’empirisme ? Une seule chose au fond, à savoir que, dans ce que nous appelons notre perception de l’espace, il y a au moins une part à faire aux sensations musculaires, et que, par conséquent, cette prétendue perception de l’espace en est en réalité une construction. Mais, si cela est, tout organe qui perçoit en se mouvant donne lieu à une série de sensations musculaires, lesquelles, soit seules, soit combinées avec les sensations spécifiques du même organe, doivent aboutir au regard de notre conscience à une construction ou, comme on dit d’ordinaire, à une perception de l’espace. Par conséquent l’œil qui se meut en percevant les couleurs doit percevoir l’espace, et cela directement et par lui-même, tout aussi bien que la main. L’oreille, le nez, le percevraient de même, s’ils pouvaient se mouvoir, et, s’ils ne le perçoivent pas, c’est qu’ils sont immobiles, ou du moins qu’ils ne donnent pas lieu à des séries distinctes et continues de sensations musculaires susceptibles de fusionner avec leurs sensations spécifiques. Mais, dira-t-on, il ne suffit pas à l’organe de se mouvoir pour percevoir l’étendue, il faut encore qu’il la parcoure. D’accord, mais est-ce que l’œil ne parcourt pas l’étendue tout aussi bien que la main au bout du bras ? Est-ce que l’iris par exemple peut se mouvoir sans parcourir l’espace ? — L’œil, dira-t-on, ne se meut que sur lui-même, et par conséquent ne décrit pas véritablement l’espace. — Mais qu’entend-on pour décrire l’espace ? Veut-on dire l’espace tout entier ? Dans ce cas nous demanderions si la main elle-même décrit l’espace tout entier. La main a dans l’espace un champ d’opération très limité, et cela ne l’empêche pas de pouvoir nous donner une idée complète de l’espace : le champ d’opération de l’œil est plus limité encore, mais ce défaut, si c’en est un, est compensé mille fois par des qualités et des avantages d’un autre genre. On voit donc bien qu’un empirisme conséquent n’exclut pas, mais au contraire implique la perception complète de l’espace par la vue, sans aucune adjonction d’aucun autre sens.