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DUNAN.guérison d’aveugle-né

ment et spontanément, — considèrent la perception de l’espace comme l’une de ces sensations spécifiques de l’œil ou de la main, et n’y font intervenir à aucun degré les sensations musculaires qui sont d’un tout autre genre ; les empiristes au contraire, pénétrés de cette idée que l’espace est une pluralité de parties, que par conséquent pour le percevoir il faut le parcourir, que pour le parcourir il faut se mouvoir, et que le mouvement donne lieu uniquement à des sensations musculaires, rattachent la perception de l’espace aux sensations musculaires seules, et en excluent totalement les sensations spécifiques de l’œil, comme les couleurs, et celles de la main, comme la résistance, la température, etc. 2o Le nativisme considère l’espace comme étant pour nous un objet de perception, c’est-à-dire comme nous étant donné dans la représentation tel qu’il est en soi ; l’empirisme le considère comme construit par nous dans l’acte même par lequel nous nous le représentons, et par conséquent comme n’étant rien en dehors de la représentation dans laquelle il nous est donné. Du reste il est visible que ces deux points se ramènent à un seul. En effet, dire que l’espace est en réalité construit par l’organe qui est censé le percevoir, c’est évidemment dire que cette prétendue perception se fait par un mouvement de l’organe, — puisque l’on ne construit qu’à la condition de se mouvoir, — et que par conséquent elle se ramène à une série de sensations musculaires : et d’autre part, dire que l’espace est perçu sans mouvement, c’est dire qu’il n’est pas construit, par conséquent que l’image en est reçue ou perçue, mais non pas créée par le sujet sensible. Cela posé, est-on nativiste par le seul fait que l’on considère la perception de l’étendue superficielle par l’œil comme immédiate, en ce sens que l’œil s’y suffit à lui-même, et ne requiert en aucune façon le concours du toucher ? Oui, si cette perception dite immédiate est rapportée aux seules sensations spécifiques de l’œil, à l’exclusion totale des sensations musculaires de ce même organe, lesquelles donneraient à l’étendue superficielle le caractère d’une construction opérée par le sens de la vue. Mais nous n’avons jamais dit une chose semblable, et rien dans les faits que nous avons rapportés n’autorise une pareille manière de voir. Ce que nous avons dit ailleurs[1], et ce que nous répéterons ici, c’est que, si l’on s’en tenait aux sensations purement musculaires auxquelles donnent lieu les mouvements de l’œil, ces sensations étant successives les unes par rapport aux autres, le caractère de simultanéité avec lequel nous apparaissent

  1. Voy. les deux articles déjà cités et celui du 1er juin dernier, dans la Revue philosophique.