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rapport, c’était donc absolument une néo-voyante. Ce point établi, nous pouvons considérer comme démontré par le cas de la jeune Marie V. qu’une personne ouvrant pour la première fois les yeux à la lumière perçoit immédiatement l’étendue plane, avec les rapports de grandeur et de position des figures qui peuvent s’y trouver dessinées, et que, pour ce qui concerne la profondeur de l’espace, elle ne la voit pas de façon à reconnaître les différents plans dans lesquels s’étagent les objets, mais que pourtant les images lui apparaissent comme projetées dans l’espace à des distances d’ailleurs indéterminables pour elle. Dans tous les cas, l’œil seul, sans aucun concours de la main, lui donne dès le premier moment une perception de l’espace que l’habitude et la loi d’association rectifieront et perfectionneront plus tard, mais qui est déjà complète en ce sens qu’elle comporte une vision des trois dimensions de l’espace à la fois.

Ces propositions assurément ne sont pas nouvelles. Il y a longtemps que l’opinion que nous venons de formuler compte des partisans résolus. Pourtant on nous accordera bien qu’il pouvait y avoir intérêt à en chercher la confirmation dans l’expérience. Le cas de Marie V. nous a paru propre à fournir cette confirmation, et en réalité toutes les observations du même genre qui ont été faites depuis Cheselden sont concordantes à cet égard avec la nôtre, et donnent lieu aux mêmes conclusions. Ce que nous voudrions maintenant, ce serait de dégager le vrai sens et la vraie portée de ces conclusions, sur lesquelles on se méprend souvent, à notre avis, et que la plupart des psychologues, partisans ou adversaires de la théorie qu’elles résument, nous paraissent entendre d’une manière peu exacte.

Cette théorie, pour les psychologues dont nous parlons, se caractérise d’un mot : elle est, dit-on, nativistique. Rien de plus erroné que cette interprétation. À bien prendre les choses, la véritable opposition entre le nativisme et l’empirisme porte sur deux points : 1° Les nativistes, persuadés que la perception de l’espace n’est pas d’une autre nature que celles de la couleur, de la résistance, de la température, de la rugosité, etc., lesquelles sont des sensations spécifiques soit de la vue, soit du tact, — c’est-à-dire des sensations qui, étant inhérentes à l’exercice de l’organe, en naissent immédiate-

    en surface, doit donner à réfléchir à ceux qui croient avec Bain que la vision des trois dimensions de l’espace se constitue par un même procédé, l’association des sensations de couleurs avec les sensations musculaires des membres locomoteurs. Si cette théorie était vraie, comment comprendrait-on que la vision des surfaces et celle de la profondeur progressent d’un pas si prodigieusement inégal ?