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idéaux ou à des possibles, les conclusions ne pourront donner aussi que des possibles ou des idéaux (et c’est pour cela que la preuve ontologique ne nous peut donner qu’un Dieu possible et non pas un Dieu réel) ; mais si l’esprit applique ses principes à l’expérience réelle, les conclusions arriveront jusqu’à établir dans la pensée et pour la pensée l’existence réelle d’objets extérieurs, non à la pensée en elle-même, mais à l’esprit momentané qui raisonne logiquement. C’est ainsi que la preuve cosmologique fournit un argument solide de l’existence de Dieu, à la condition seulement que le principe de causalité qui en est le nerf soit formulé comme il le doit être et non ainsi que l’a formulé Kant. Il faut dire en effet, non : Tout phénomène a un autre phénomène pour cause, ce qui conduit à une régression ad infinitum qui n’aboutit pas, mais : Tout phénomène a une cause autre que lui-même. Or, le phénomène étant essentiellement mobile, l’autre, qui doit être la cause du phénomène, est essentiellement immobile. Ainsi la cause est vraiment un terme et tout effet ne donne pas lieu à une régression infinie, mais n’a en réalité qu’une cause, laquelle est posée par l’esprit dès que le phénomène est aperçu. La cause ne peut être moins réelle que son effet, la réalité des effets nous est donc garant de la réalité de la cause. Leibniz ne raisonnait pas autrement dans les passages profonds rapportés par Dubuc (p. 239-214). Si les êtres par autrui sont, il faut bien que l’être de soi existe aussi ; cela revient bien à dire que la réalité expérimentalement constatée des êtres par autrui est la caution de la réalité de l’être de soi. Ce n’est pas l’argument ontologique, tel que l’a compris Kant, que développe ici Leibniz, c’est l’argument cosmologique.

Et ce principe de causalité qui nous démontre l’existence de Dieu n’est pas impuissant non plus à nous découvrir sa nature et ses attributs. La vraie cause immobile ne peut être en effet autre chose qu’une pensée. Or, la pensée laisse toujours dans les effets qu’elle produit quelque chose d’elle-même, la forme, ce qui détermine et précise la matière. En voyant une table ou une maison on a certainement le droit de dire que la loi selon laquelle sont unies les diverses parties de la table ou de la maison préexistait dans la pensée du menuisier ou de l’architecte ; la représentation qu’on se fait d’après l’effet de l’état d’esprit de la cause en tant que celle-ci posait l’effet n’est pas et ne peut être fausse. Nous avons donc le droit de dire que les formes ou lois des choses de la nature sont des expressions de la pensée divine, et la science positive n’est autre chose que la collection de ces formes ou de ces lois. Ainsi la même méthode qui nous a permis de poser l’existence de Dieu, nous permet de connaître en partie sa nature et ses attributs. Cette méthode n’est pas la méthode subjective dont M. Dubuc constate l’impuissance ; elle n’est pas davantage la méthode dogmatique qu’il rejette, elle est quelque chose des deux, mais elle est à part de toutes deux.

Il y a donc, à notre sens, une lacune grave dans la thèse de M. Dubuc. Voulant passer en revue pour examiner leur valeur toutes les méthodes des métaphysiciens, il n’en omet qu’une, mais c’est justement celle