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ANALYSES.p. dubuc. La méthode en métaphysique.

Ce qui me fâche en effet dans notre temps c’est que tout le monde fait de la métaphysique et que personne ne veut en faire ; c’est qu’il n’y a pas de livre ou d’article philosophique qui, dix lignes après une boutade contre la métaphysique, ne nous serve une et souvent plusieurs propositions purement métaphysiques. Les médecins sont passés maîtres en ce genre d’exercices. On a raillé, et avec raison, les philosophes qui voulaient expliquer la nature et l’homme sans avoir étudié ni chimie, ni physique, ni physiologie, mais les philosophes n’ont-ils pas le droit de retourner la raillerie à ceux qui tranchent les plus délicats problèmes de métaphysique, sans avoir lu un seul ouvrage sérieux de métaphysique ? Les philosophes eux-mêmes savent-ils ce qu’ils devraient savoir de philosophie première ? Où est parmi nous celui qui a lu Aristote en entier avec l’aide d’un bon commentaire ? Qui connaît les métaphysiciens du moyen âge scolastique ou à leur défaut les Disputationes metaphysicæ de Suarez où se trouve un résumé des travaux de toute l’École ? Or, sans ces lectures est-il possible de dire qu’on sait de la métaphysique ? Car Descartes, Leibniz et Kant ne se peuvent entièrement comprendre si l’on ne connaît pas leurs prédécesseurs immédiats. On ne peut connaître un fruit sans connaître la fleur qui l’a préparé.

Et cela est si vrai que le principal reproche que nous ayons à faire à M. Dubuc est précisément de ne pas faire figurer, parmi les méthodes métaphysiques qu’il examine, celle qui fut la méthode par excellence chez le fondateur de la philosophie première et chez ses commentateurs, celle que Descartes sut renouveler et revivifier par une vue de génie, que Leibniz a expressément professée et que la critique de Kant a vidée de son contenu réel en la réduisant à un pur formalisme subjectif. Cette méthode, c’est l’analyse appliquée à la pensée pure. De même que la physique dégage, par analyse, des faits objectifs les lois générales qu’ils expriment, de même la métaphysique dégage, par analyse, des représentations mentales les lois qu’elles manifestent. Ces lois se nomment principes de la pensée et leur ensemble constitue la raison. La seule différence qu’il y ait ici entre la physique et la métaphysique, et qui est tout à l’avantage de cette dernière, c’est que les lois physiques ont besoin, pour être établies, d’une longue procédure expérimentale, tandis que les lois métaphysiques ou principes sont certaines du premier coup, dès que l’esprit se rend compte de la signification exacte des termes qu’elles unissent. L’esprit s’y reconnaît lui-même et ne peut douter de la vérité des lois où il aperçoit immédiatement et sans erreur possible la cause de son existence et de sa vie. Mais la pensée étant une réalité, la première et la plus évidente des réalités (c’est sur ce point qu’a insisté Descartes et c’est en cela que consiste son originalité philosophique), les lois de la pensée sont aussi des lois de la réalité. Donc toutes les conclusions logiques auxquelles ces lois conduisent l’esprit auront la valeur même qui leur sera logiquement attribuée par la pensée. Si l’esprit n’applique ces lois qu’à des formes pures, à des