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qu’il s’agit de déterminer l’existence et la nature du moi, ou l’existence et la nature de l’absolu et du monde externe. Subjective et psychologique dans le premier cas, elle est rationnelle et critique dans le second. Dans les deux cas elle est essentiellement formelle, à l’encontre des anciennes méthodes qui s’étaient presque exclusivement absorbées par leurs vains efforts pour déterminer la matière de la connaissance. L’auteur se flatte que par une telle méthode la métaphysique évitera les objections qu’on a faites avec justesse aux divers systèmes qui se sont succédé en philosophie depuis Descartes, au spiritualisme, à l’idéalisme, au panthéisme, au matérialisme, à l’éclectisme, et qu’elle pourra ainsi se constituer enfin à l’état de science. Si on lui reprochait de n’avoir pas découvert une métaphysique nouvelle, il répondrait que l’originalité philosophique consiste bien moins à inventer des solutions nouvelles qu’à prouver la vérité d’une quelconque des solutions proposées. Peut-être en effet toutes les solutions ont-elles été proposées et le but principal du philosophe doit-il être maintenant de donner à ces solutions le caractère scientifique qui leur a manqué jusqu’ici. Or, on n’y arrive que par la preuve, et la preuve est le résultat de la méthode. Travailler donc à découvrir la méthode métaphysique est loin d’être un labeur stérile et « l’auteur n’estimerait pas tout à fait inutile son travail s’il avait réussi à mettre cette vérité en lumière » (p. 295).

C’est sur cette idée que se termine la thèse de M. Dubuc. Nous ne pouvons qu’être en ce point pleinement de son avis. Rien ne serait plus utile aux philosophes que de se mettre d’accord sur la méthode à suivre en métaphysique. Mais pour cela il faudrait d’abord que les philosophes fussent assurés que la métaphysique a un objet parfaitement net et distinct de celui de toutes les autres sciences, qu’ils eussent une représentation distincte de cet objet et enfin qu’ils fussent convaincus que la méthode pour l’atteindre est hypothétique peut-être en certaines de ses parties (quelle est la méthode scientifique qui ne l’est point ?), mais n’est nullement arbitraire. Depuis Bacon les adversaires de la métaphysique ne cessent de la représenter comme un tissu d’hypothèses plus ou moins fantaisistes, de rêves plus ou moins bien d’accord avec ce que nous savons de la réalité. M. Renan a prêté à ces idées la magie de son style, et les philosophes eux-mêmes j’entends ceux qui se disent métaphysiciens — ne sont pas sans avoir donné dans cette opinion. Traiter de rêve et de fantaisie l’objet constant de son étude et de ses réflexions, cela donne un air de détachement qui ne manque pas d’une ironie élégante. Malheureusement il manque aussi de sérieux. Les rêves ne sont bons que quand ils sont exprimés en beaux vers ; mais délayer en prose lourde des hypothèses sans fondement et saupoudrer son style de or, de mais et de donc, c’est proprement se moquer du monde, et, pour comble, s’en moquer pédantesquement. M. Dubuc mérite donc nos remerciements et nos félicitations pour avoir eu le courage de rappeler que la métaphysique a toujours prétendu au titre de science et qu’à ce titre elle doit avoir une méthode.