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Ce qui constitue aux yeux de M. Guyau une « religion positive », c’est son dogme et son culte. Or ce dogme et ce culte consistent, l’un dans des définitions, l’autre dans des pratiques également immuables, à la fois indémontrées et indémontrables, que le croyant doit accepter et subir sans être admis à vérifier leur bien fondé. D’où il suit que, le dogme et le culte s’appuyant l’un et l’autre sur une base irrationnelle, ni des hommes instruits, ni une société parvenue à un degré de culture un peu élevé ne sauraient s’en accommoder à la longue. Il y a, de la sorte, incompatibilité foncière entre le progrès intellectuel et la religion. En effet, le reste des éléments qu’on rencontre dans la religion et qu’aucun homme ne se décidera à sacrifier, pour la conservation desquels il serait plutôt disposé à faire de douloureux sacrifices aux dépens de sa raison elle-même, je veux dire les idées morales ne lui sont pas particulières, ne lui appartiennent point en propre et peuvent subsister en dehors du dogme et du culte.

La morale est indépendante à la fois du dogme et du culte ; or c’est elle, et elle seule qui pourrait assurer la durée de la religion. En conséquence, il n’y a pas d’avenir pour celle-ci. Elle répond à une phase de l’évolution humaine, mais ses jours sont comptés et les progrès de l’instruction marqueront à bref délai sa fin. Non point que l’humanité éclairée et instruite doive devenir antireligieuse et jeter l’insulte aux institutions du passé ! Au contraire, il subsistera chez beaucoup une religiosité tout individuelle, s’accordant avec la doctrine préférée de chacun. Ce qui sera fini, ce qui ne reviendra plus, ce sera la domination des sociétés dogmatiques, qui feront place à l’individualisme et à l’association volontaire. Plus de cadres immuables, mais un groupement libre ! Chacun se faisant à lui-même son tableau de l’univers, qui inclinant au théisme, qui au panthéisme, qui au naturalisme idéaliste ou matérialiste, remplacera le dogme imposé par une conviction philosophique raisonnée. L’humanité ne sera donc pas antireligieuse en ce sens qu’elle chercherait le contre-pied du passé où dominait l’idée théologique, mais elle deviendra irreligieuse, parce qu’elle aura sacrifié ce qui constitue le caractère spécifique de la religion.

M. Guyau s’est d’ailleurs exprimé à cet égard avec une clarté qui doit rendre impossible tout malentendu. « Les éléments qui distinguent la religion de la métaphysique et de la morale, dit-il dans son Introduction, et qui la constituent proprement religion positive sont, selon nous, essentiellement caducs et transitoires. En ce sens, nous rejetons donc la religion de l’avenir, comme nous rejetterions l’alchimie de l’avenir ou l’astrologie de l’avenir. Mais il ne s’ensuit pas l’irréligion ou l’a-religion, qui est simplement la négation de tout dogme, de toute autorité traditionnelle et surnaturelle, de toute révélation, de tout miracle, de tout mythe, de tout rite érigé en devoir, soit synonyme d’impiété, de mépris à l’égard du fond métaphysique et moral des antiques croyances. Nullement ; être irréligieux ou a-religieux n’est pas être anti-religieux. Bien plus, comme nous le verrons, l’irréligion de