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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

destinée à se briser comme verre au premier choc. Mais nous indiquions en même temps une voie nouvelle, dont ni M. Vischer, ni M. Schœn n’ont paru s’aviser, à savoir que l’Apocalypse de saint Jean serait à rapprocher des produits analogues de l’apocalyptique soit juive, soit chrétienne, non seulement par son plan, mais encore par cette circonstance que son auteur réel aurait pris le masque d’un personnage plus ancien. Et c’est ainsi que l’Apocalypse, écrite vers l’an 100, semble dans telle de ses parties avoir été rédigée avant 70, parce que l’écrivain, pour donner plus de poids à sa parole, a feint de vivre à cette époque. De même dans le Pentateuque, dans le Deutéronome notamment, on voit Moîse parler constamment de la prise de possession de la Palestine comme d’un événement à venir, tandis que la législation mise sous son nom est évidemment postérieure de plusieurs siècles à l’établissement des Israélites en Chanaan.

Étant donc déjà, avant MM. Vischer, Schœn et Sabatier, arrivé à la conviction que l’opinion chère à l’exégèse moderne ne rendait pas compte de plusieurs circonstances et particularités importantes, nous sommes médiocrement touché de leurs arguments. En ce qui concerne l’hypothèse du premier de ces critiques, la supposition d’une Apocalypse juive datant de l’an 70 et remaniée par un chrétien trente ans plus tard, nous estimons qu’elle est excellemment réfutée par les deux autres. À son tour, l’idée d’un emprunt proprement dit fait par un écrivain chrétien de l’an 100 à un auteur juif de l’an 70 et consistant dans une série de pages purement et simplement transcrites, sans souci du désordre causé dans le plan de l’œuvre et du désaccord des doctrines, ne nous semble pas justifiée par un examen entrepris de sang-froid. Nous tenons qu’une pareille supposition est inutile pour rendre compte soit des anomalies du plan, soit des variations ou vacillations de la doctrine, soit de quelques petites énigmes littéraires, peut-être à jamais insolubles, que présente le texte traditionnel. Que l’écrivain chrétien se soit largement inspiré des compositions plus anciennes de la littérature apocalyptique juive qu’il avait sous les yeux, nous ne faisons aucunement difficulté de l’admettre, quand bien même cette influence se serait traduite par-ci par-là sous la forme d’une imitation confinant à un emprunt proprement dit. On s’expliquerait alors que de tels passages ne se fondent pas sans quelque difficulté avec le corps du livre. C’est là une question qui pourra être soulevée à propos de telle vision ou de tel détail et qui devra être tranchée par un examen spécial. Mais entre cela et l’intercalation de morceaux d’ensemble que l’on retrouverait intacts dans le texte définitif, il y a un abîme. Le « petit livre » que M. Sabatier prétend retrouver dans l’Apocalypse nous semble, si l’on admet une pareille expression, infiniment plus difficile à avaler qu’à lui-même et qu’au voyant de Pathmos lui aussi qui, si l’on s’en souvient, le trouva doux à la bouche, mais amer aux entrailles. L’Apocalypse de saint Jean est et reste pour nous une œuvre foncièrement chrétienne, quoiqu’il soit légitime de faire voir que son auteur a subi