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l’Église chrétienne. Or, on peut penser que c’était là le résultat fatal, nécessaire d’une entreprise ainsi conduite, et l’on se demande si l’on ne se trouve pas, purement et simplement, en face d’un cercle vicieux, si toute cette proposition ne repose pas sur une simple pétition de principes. Enlevez du livre en question tout ce qui est spécifiquement chrétien, resteront les éléments de doctrine propres au judaïsme et que le christianisme a conservés !

On peut cependant invoquer en faveur de l’hypothèse de M. Vischer une remarque faite de longue date. On croit avoir constaté, et c’est un point auquel les critiques s’arrêtent volontiers, dans l’Apocalypse, un singulier alliage de doctrines juives et chrétiennes, dont la juxtaposition ne laisse pas que de donner lieu à d’étranges contrastes. C’est ce qui a permis aux exégètes de soutenir tour à tour à propos de ce livre deux opinions absolument contraires : l’une, que l’Apocalypse est de tous les écrits du Nouveau Testament celui qui est le plus imprégné de l’esprit de la synagogue, celui où le progrès de la doctrine nouvelle est le moins sensible ; l’autre, que l’Apocalypse se rapproche, au contraire, des tendances mystiques du quatrième Évangile. Ce qu’on peut dire, pour une plus juste appréciation des choses, c’est que les éléments de la doctrine ancienne et de la nouvelle se trouvent, en effet, ici plutôt associés que fondus. Mais est-ce là le seul exemple de la chose et ce phénomène n’est-il pas, au contraire, facilement explicable par les conditions où est née la littérature chrétienne primitive, en général, spécialement l’apocalyptique de la jeune Église, qui empruntait au judaïsme son cadre et ses divisions ?

Après un examen consciencieux de l’hypothèse allemande, M. Schon, qui s’était senti tout d’abord une forte propension à l’admettre, est obligé lui-même de déclarer que le procédé de M. Vischer est arbitraire et artificiel, qu’il retranche à son gré ce qui le gênerait et conserve ce qui l’aide. Lui-même cependant ne se résout pas à accorder à l’ancienne exégèse l’unité de plan et d’auteur. Il estime que quatre des visions principales — la prédiction concernant le temple et la ville de Jérusalem (XI, 1-13), la prophétie sur la naissance du Messie (XII, 1-9), les oracles sur la bête (XIII, 1-6, 11-18) et sur la chute de la grande Babylone (XVIII) ― paraissent avoir été « introduites violemment dans le plan primitif ». Ces visions, d’un caractère essentiellement juif, auraient été empruntées à des écrits juifs, antérieurs à l’an 70, tandis que le livre lui-même où elles auraient trouvé place ne daterait que des dernières années du siècle. Telle est, en deux mots et abstraction faite de détails secondaires, la conclusion de M. Schœn. Il se résume ainsi : « Depuis longtemps, on avait reconnu que la plupart des visions de l’Apocalypse étaient des imitations de l’Ancien Testament. Nous avons essayé de montrer que les visions d’Ezéchiel et de Daniel ne sont pas les seules qui soient entrées dans la composition de l’ouvrage, mais que l’auteur a utilisé quelques prophéties juives plus récentes. »

Au cours de sa dissertation, solide et bien informée, M. Schœn rend