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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

ment chrétienne, comme on l’a toujours prétendu, aussi bien dans le camp des conservateurs que dans celui des novateurs les plus hardis, mais une œuvre juive qui a subi un certain nombre d’interpolations chrétiennes, afin de pouvoir trouver place dans le recueil sacré des livres canoniques de l’Église. Mais voici le plus singulier de l’affaire. Cette proposition révolutionnaire, cette thèse audacieuse est accueillie avec une singulière faveur. Quelques hommes considérables s’y rallient ; d’autres, tout en faisant des réserves, déclarent qu’il y a lieu de tenir le plus grand compte des nouvelles propositions. M. Sabatier, que je citais à l’instant, s’accorde avec beaucoup de ses collègues les plus compétents pour dire que la solution qui avait prévalu pendant cinquante ans et qu’ils considéraient jusqu’à ce jour comme pleinement satisfaisante, — solution qui n’a été mise en suspicion que par une sorte de hasard, — que ladite solution laissait subsister mainte obscurité, qu’elle ne levait que d’une façon très imparfaite les difficultés du problème.

Les deux publications de M. Schoen[1] et de M. Sabatier[2] appartiennent à la discussion qu’a provoquée dans les cercles théologiques la dissertation de M. Vischer, l’élève du professeur Harnack, celui-là précisément dont l’hypothèse a fait un si beau tapage, sous le titre de la Révélation de saint Jean est une Apocalypse juive » (en allemand).

Dans une étude soignée et développée, M. Schon passe en revue les derniers travaux relatifs à l’Apocalypse et expose avec détail l’hypothèse de M. Vischer. Cet auteur, pour retrouver l’écrit primitif qu’il devine sous la surcharge d’éléments introduits après coup, élimine du texte traditionnel d’abord le début du livre (chap. I à III), puis une série de courtes incises d’un caractère positivement chrétien contenues au corps du livre (du chap.  XIV à XXI), enfin la conclusion (versets 6 à 21 du chap.  XXII). Cette élimination, prétend-il, n’entraîne, le plus souvent, aucune interruption du sens. Si l’on demande maintenant sur quels arguments externes s’est fondé le jeune critique pour restituer la forme prétendue juive de l’Apocalypse contenue aux livres canoniques du christianisme, celui-ci, faute de témoignages directs qui lui font absolument défaut, est obligé d’alléguer de simples présomptions morales. Que ces présomptions soient dépourvues de valeur, nous ne le prétendrons certainement pas ; mais il est visible pour toute personne non prévenue qu’elles présentent un caractère éminemment personnel et subjectif, qui confine trop aisément à l’arbitraire si tant est qu’il ne nous y jette pas purement et simplement. M. Vischer écarte tous les passages dont l’allure et la physionomie sont décidément chrétiennes ; cela fait, il lui est resté entre les mains un écrit où ne se retrouvent plus que les éléments messianiques communs aux juifs et aux chrétiens, c’est-à-dire que la synagogue a purement et simplement transmis à

  1. In-8o, 148 pages.
  2. In-8o, 37 pages.