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tique de l’Anglais, un des produits assurément le plus authentiques de l’esprit protestant et moderne ! C’est une dissertation très solide et qui repose sur une sérieuse étude personnelle[1].

L’Apocalypse de saint Jean, renfermée au Nouveau Testament, traverse des phases singulières, au moins en ce qui touche son interprétation. Elle passait, il n’y a pas longtemps encore, pour la formule même de l’obscurité, et Dieu sait ce que chacun se croyait permis d’en tirer pour la connaissance du passé, du présent et de l’avenir. C’était certainement, de tous les livres de la Bible, celui dont l’interprétation donnait lieu aux plus grands écarts, aux plus singulières fantaisies. Un grand pas fut fait pour une plus saine intelligence du livre, quand Lücke, par la publication de son Introduction, la rattacha à l’ensemble de la littérature apocalyptique, si florissante aux environs du christianisme. En effet, nous avons conservé de cette époque un certain nombre d’ouvrages conçus sur le même type et, en étudiant les secrets de leur composition, on peut en tirer quelque lumière pour l’intelligence de l’Apocalypse canonique. Ces ouvrages offrent ceci de commun qu’ils consistent en révélations de l’avenir, mises dans la bouche de quelque grand personnage du passé.

L’œuvre avait donc cessé d’être unique et isolée et l’on pouvait espérer arriver à se rendre compte de sa signification et de son origine par l’application des règles admises pour l’ensemble des productions littéraires auxquelles il convenait désormais de l’assimiler. Cette espérance ne fut pas déçue. En 1835, plusieurs théologiens distingués découvraient simultanément l’empereur Néron dans le mystérieux chiffre 666 du chapitre XIII, verset 18. Désormais le problème sembla résolu et un accord, assez rare entre commentateurs bibliques, succéda aux controverses passionnées des âges précédents. L’auteur de l’Apocalypse avait visé l’empire romain et spécialement dans cet empire la personne de Néron, le persécuteur acharné du christianisme naissant. Dans un article donné en 1877 à l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, un critique autorisé, M. Sabatier, pouvait en toute sincérité écrire ce qui suit : « Chose singulière ! cet ouvrage qui passait pour le plus obscur de la Bible, est peut-être celui sur lequel règne la plus grande unanimité d’explications parmi les théologiens modernes. On est généralement d’accord, en effet, sur le lieu et la date précise de sa composition, sur sa signification générale et le but qui y est poursuivi. L’Apocalypse de saint Jean est sortie des convulsions qui agitèrent la Judée de l’an 67 à l’an 70 et amenèrent la destruction de Jérusalem. »

Soudain, il y a deux ans, paraît sous le patronage d’un écrivain connu, le professeur Harnack, un opuscule dû à un débutant, lequel soutient que l’Apocalypse n’est pas une œuvre proprement et foncière-

  1. À signaler encore la Leggenda religiosa nell’evo medio, par L. Anfosso, et Il Sentimento religioso come fenomeno biologico e sociale, par E. Belmondo.