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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

traire l’authenticité du fond, parce que, de même que nous possédons plusieurs évangiles représentants de diverses traditions qui se confirment dans leurs traits essentiels, nous retrouvons dans le Pentateuque plusieurs traditions indépendantes qui s’accordent à conserver le fond d’un souvenir antique, religieusement transmis en ce qui touche les faits principaux. Si nous n’avions qu’un écho unique du passé, on pourrait le suspecter ; mais diverses versions, d’accord sur le fond, constituent une preuve à l’abri de toute suspicion.

Je ne m’attarderai pas à faire voir tout ce qu’il y a de subtil et de naïf à la fois dans ce raisonnement. La distinction proposée entre le caractère d’écrits qui reposent sur la fable ou sur un souvenir positif, est inadmissible. Et cependant, M. Westphal, s’il commet une vraie erreur d’écolier en s’imaginant qu’une légende cesse d’être une légende parce qu’elle se retrouve non pas en une, mais en plusieurs versions, n’a point tort dans le fond. Il a raison d’engager l’Église protestante à ne pas s’inscrire en faux contre ce qu’il y a de plus clair dans le travail critique des cent dernières années ; il a raison quand il engage la droite » du protestantisme à s’ouvrir à une étude très légitime, dont les résultats ne peuvent inquiéter ni le sentiment religieux, ni la croyance. Qu’on arrive par cette voie à restituer la personne d’un Abraham ou d’un Jacob, assurément c’est une illusion ; mais c’est une illusion qui n’offre aucun danger, tandis qu’il y a un grand danger pour les Églises, soit catholique, soit protestante, à tourner le dos aux recherches exactes de l’histoire et de la littérature quand elles ont la Bible pour objet.

Cela dit, je dois faire quelques réserves sur la facilité avec laquelle M. Westphal déclare que « le problème littéraire » est résolu, que les critiques sont désormais unanimes dans la reconstitution des sources ou documents qu’ils admettent être entrés dans la composition dernière du Pentateuque. Cela est fort exagéré. Il y a assurément des points acquis, mais, à côté de cela, que d’incertitudes et que d’inutiles complications ! Toutefois, comme M. Westphal a entrepris de faire avaler une pilule — et quelle pilule ! — à la fraction la plus conservatrice de la théologie protestante, ne lui reprochons point de l’avoir un peu dorée.

Nous-même, en ce qui touche le fond, rejetons absolument l’historicité des faits rapportés au Pentateuque, et, en ce qui touche la forme, considérons qu’on s’est rendu assez mal compte du travail littéraire dont ce livre est le produit, en tenant le Pentateuque pour une œuvre remaniée à plusieurs reprises au cours des siècles et dans laquelle se trouvaient fondus des documents d’origine très différente, représentant la tradition ou le point de vue de milieux également séparés par le temps et par l’espace. C’est, selon nous, la mise en œuvre de quelques données dogmatiques, morales et religieuses d’une grande simplicité, qui servaient de thème aux écoles juives des temps de la Restauration ou du second Temple ; ces « lieux communs »,