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Mais, dira le croyant, vous détruisez l’unité du Pentateuque, en admettant qu’il est entré dans sa composition quatre ou cinq documents, sinon plus, dus à des plumes différentes, documents dont vous vous réservez de déterminer ultérieurement l’origine. C’est à cette objection que M. Westphal fait une réponse triomphante, réponse dont je ne sais si les croyants témoigneront une grande satisfaction et dont je crains que les critiques ne sourient, mais dont je ne me scandalise point trop parce que je disais, plus clairement que l’auteur ne fait lui-même, à quoi il tend et où il va, parce que je suis convaincu qu’il élargira une formule, inadmissible dans son expression actuelle, et que, conformément à ce que je vois plus haut, je tiens cette formule élargie pour défendable et acceptable. « Quel est donc, dit-il, le résultat de ces hardis travaux dont l’Église s’alarme et dont l’incrédulité s’applaudit ? D’avoir mis trois livres à la place d’un livre, une série de témoins à la place d’un seul témoin. On expulsait les patriarches du domaine de l’histoire sous prétexte que les renseignements étaient contradictoires et les faits mal documentés ; maintenant nous avons, de l’aveu même de la science, trois ou quatre récits de la vie des patriarches d’où les contradictions ont disparu. Les regarderons-nous comme des variantes d’une même légende populaire ? Impossible ; leurs divergences sont trop nombreuses, leur caractère trop distinct. Une fable devenue légendaire et apparaissant sur le terrain de l’histoire sous la forme d’une triple tradition : voilà qui nous paraît difficile à comprendre. — Mais qu’un fait historique, transmis de siècle en siècle par la tradition orale, devienne peu à peu l’épopée des générations et porte, au jour de sa rédaction, la forte empreinte du génie des tribus qui l’ont conservé et le cachet des temps qui l’ont fixé par écrit, rien de plus naturel ; les faits de ce genre abondent dans les annales de l’histoire. Que l’on arrive à réunir plusieurs traditions indépendantes, partant des mêmes souvenirs, et ces souvenirs acquerront, par la divergence même des détails qui les accompagnent, une incontestable autorité. — Or ces diverses traditions rapportant l’histoire patriarcale, nous les possédons aujourd’hui et c’est la Bible qui nous les donne. Comment ne pas montrer notre reconnaissance envers les patients chercheurs qui ont dégagé les documents dont la confusion faisait la faiblesse et dont l’union fera la force ? Ils ont, malgré eux et malgré nous, fourni la plus brillante apologie des premières pages de l’histoire sainte, en mettant en lumière par la découverte des sources du Pentateuque : l’harmonie des évangiles de l’ancienne alliance. »

Ce que prétend dire M. Westphal, — et il me permettra de lui dire que la manière dont il exprime sa pensée est à peu près inintelligible pour quiconque n’est pas familiarisé avec les débats de la théologie protestante, — c’est ceci : on a invoqué contre la véracité des antiquités bibliques, spécialement des faits allégués sur l’époque patriarcale et sur celle de Moise, les divergences des textes et les singulières contradictions qu’on y relève. Eh bien, ces divergences confirment tout au con-