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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

Le bouddhisme lui-même, malgré ses visées plus hautes, a été rabaissé à ce médiocre niveau des superstitions et usages populaires. En sorte que M. Réville ne fait plus guère exception qu’en faveur d’un seul et unique « élément de la vie supérieure » qui aurait pénétré assez avant dans la religion chinoise, à savoir l’élément moral. Il déclare que « la religion en Chine a cherché de différentes manières et sous toutes ses formes à s’unir à la morale pour la vivifier et la sanctionner. » Cette tendance remonterait aux temps les plus anciens.

M. Réville aborde ici un ordre de considérations très élevé. Il se demande si l’impuissance qu’il remarque chez le Chinois à tirer du principe de son culte autre chose qu’une religion médiocre, ne tiendrait pas au principe originel de cette religion, ce principe naturiste auquel, à travers ses variations, elle demeure toujours attachée ».

Et il fait cette réponse : « Pour nous, la réponse à cette question n’est pas douteuse. Le naturisme peut s’annexer une certaine morale ; en principe, il n’est ni plus ni moins moral que son objet, la nature, et quoi qu’on fasse, le moment vient toujours où principe et objet sont revêches au caractère moral qu’on veut leur assigner. Le Ciel est le Dieu suprême du confucéen. J’admets volontiers que par le Ciel il entend l’être conscient dont la voûte bleue est la révélation ou le revêtement. Encore est-il qu’il n’entend pas séparer Tien ou Chang-Ti de son corps d’azur. C’est ce corps qui le manifeste et sert d’organe à ses volontés souveraines. Ces volontés, à leur tour, se traduisent ordinairement par les phénomènes atmosphériques. Ces phénomènes obéissent-ils aux lois morales ? Ne dénotent-ils pas, au contraire, une parfaite indifférence pour les faits de l’ordre moral ?… Le ritualisme confucéen procède d’une excellente intention, son principe rentre dans le point de vue moral ; mais il tombe dans l’absurde et même dans l’immoral parce qu’il a pour point de départ le culte d’une divinité, qui ne peut pas être plus morale que la nature elle-même. Il doit se contenter de l’idéal incomplet dont elle est la révélation. »

On se tromperait si l’on croyait que les vues défendues par l’auteur de la « Religion chinoise » sont destinées à prévaloir sans obstacle. Bien que l’ouvrage de M. Réville soit de bien récente date, j’ai déjà sous les yeux une brochure due à la plume d’un orientaliste éminent[1], qui s’inscrit en faux contre ses principales conclusions. Un premier reproche que M. de Harlez adresse à M. Réville est de nous avoir donné le tableau de l’ancienne religion chinoise d’après ce qu’on rapporte des usages et des pratiques actuels de certains Tartares. M. Réville, dit le critique, « emprunte ses tableaux aux voyageurs modernes et nous les donne comme la peinture fidèle de la religion mongole des premiers jours, aux xxe et xxve siècle avant notre ère ». L’auteur de la « Religion chinoise serait ici tombé dans l’erreur si grave que nous avons relevée nous-même dans le Manuel d’histoire des Religions de M. Tiele. Rien n’est, en effet, plus imprudent, rien n’est moins scientifique que

  1. C. de Harlez, La religion en Chine, à propos du dernier livre de M. A. Réville.