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CALINON.les espaces géométriques

d’autres du même genre : l’homme vivant en présence de l’Univers, il nous paraît tout à fait impossible que la géométrie de cet Univers ait été sans influence sur la formation de sa notion d’espace, cela avant même toute connaissance scientifique : l’homogénéité de l’espace se ramène, comme nous l’avons dit, à la relativité des dimensions des corps ou à la possibilité de construire une figure à diverses échelles sans altérer les éléments essentiels de sa forme ; or, certainement, dès les âges les plus reculés, l’homme a tenté de reproduire en petit, soit en moulant une terre plastique, soit en travaillant un morceau de bois avec un instrument tranchant, la forme des objets qui l’entouraient : cet art s’est perfectionné d’âge en âge par la comparaison de plus en plus précise entre la reproduction et le modèle ; n’est-il pas évident dès lors que de cette comparaison même devait résulter tôt ou tard pour l’homme la notion acquise de l’homogénéité de l’espace ? En résumé, cette notion, loin d’être une vue a priori sur la nature de l’espace, est au contraire le résultat d’une très longue expérience.

C’est pourquoi, enfin, cette notion ne concerne que l’espace particulier dans lequel nous vivons ; mais elle ne pouvait nous conduire à la conception des divers espaces géométriques que nous révèle notre géométrie générale.

Il ne faudrait pas du reste considérer ces divers espaces géométriques comme étant absolument exclus de l’Univers ; la forme euclidienne de notre espace ne résulte, en effet, que d’observations d’une précision limitée ; tout ce qu’on peut légitimement en conclure, c’est que les différences qui peuvent exister entre la géométrie euclidienne et celle que réalise l’Univers tombent au-dessous des erreurs d’observation ; il reste donc là un doute qu’il est impossible d’éviter et, dans les limites de ce doute, on peut faire sur notre espace les diverses hypothèses suivantes que nous nous bornerons à énoncer :

1o Notre espace est et reste rigoureusement euclidien ;

2o Notre espace réalise un espace géométrique très peu différent de l’espace euclidien, mais toujours le même ;

3o Notre espace réalise successivement dans le temps divers espaces géométriques ; autrement dit, notre paramètre spatial varie avec le temps, soit en s’écartant plus ou moins du paramètre euclidien, soit en oscillant autour d’un paramètre déterminé très voisin du paramètre euclidien.

Dans cette dernière hypothèse, la plus générale qu’on puisse faire, les formes des corps qui nous entourent se modifieraient lentement sous nos yeux en même temps que notre espace, puisque des espaces différents ne peuvent contenir les mêmes formes.

A. Calinon.